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Critique de HordeDuContrevent


Un roman d'aventure dans la pure tradition du 19ème siècle, exotique et haletant, un thriller sauvage et féroce, véritable éloge du pouvoir de l'écriture ! Divertissant à souhait, mais brillamment divertissant !

« le Congo n'était pas un lieu, le lieu c'était nous ».

Après la lecture du livre fantastique La peau froide qui m'avait fait forte impression, j'ai voulu poursuivre avec cet auteur espagnol Albert Sanchez Pinol et me suis ainsi tournée vers son deuxième roman au titre énigmatique « Pandore au Congo ». Si nous retrouvons quelques mêmes ingrédients, notamment la présence d'êtres surnaturels, ce roman nous amène loin, beaucoup plus loin, dans la réflexion. Il est tout simplement captivant, brillant et serti d'une très belle plume, à la fois précise, sans circonvolutions mais pure, relevée, fraîche, sachant ménager le suspense et les coups de théâtre, rendant la lecture passionnante.
Si La peau froide nous laissait un glacial goût iodé d'embruns, Pandore au Congo nous enveloppe d'une chaleur verdâtre, moite et suffocante…Un froid / chaud qui montre combien l'auteur espagnol est capable avec un immense talent de nous amener dans de lointaines contrées inhospitalières, de nous faire peur, de nous perdre corps et âme avec les protagonistes en faisant varier les ambiances et les paysages.

Nous sommes à la veille de la première Guerre Mondiale, à Londres. Thomas Thomson est le dernier maillon d'une longue chaîne de nègres pour le compte d'un auteur, le docteur Flag, dont l'oeuvre prolifique se situe principalement en Afrique : « Il n'y avait pas tellement de lieux qui offraient un aussi large éventail d'éléments narratifs que l'Afrique noire. Les Massaïs, les Zoulous, les rebelles boers. La savane, la jungle. Eléphants, crocodiles, hippopotames et lions, explorateurs et chasseurs ».
Médiocre littérature à l'eau de rose, histoires faciles et rapidement écrites au rythme de trois livres par semaine, il n'est pas fier de contribuer à cette mascarade – lui se rêve grand écrivain - mais il s'agit de sa principale source de revenu. Toute la chaine s'écroule à la suite de hasards malheureux, les écrivains par procuration mourant les uns après les autres.
Alors qu'il va à l'enterrement de l'un d'eux, espérant rencontrer l'auteur prolifique, ce proxénète des lettres comme il l'appelle, il est abordé par un certain Edward Norton, un avocat, qui a pour mission de défendre un homme, un simple gitan, accusé d'avoir tué deux jeunes aristocrates. Cet homme, Marcus Garvey, risque la pendaison. L'avocat souhaite que Thomas Thomson écoute cet homme et écrive son récit afin de pouvoir mieux défendre son client. Qu'au lieu de divertir de nombreuses personnes par d'insipides petits romans, qu'il puisse désormais en sauver une. Et voilà notre homme se rendre régulièrement à la prison et consigner scrupuleusement les souvenirs de l'assassin. Ce qu'il va entendre dépasse l'entendement…

« Ce qui s'est passé au Congo dépasse l'entendement humain, Thomas. C'est une de ces histoires qui nous font douter de tout. Ecoutez-la et écrivez-la. Je n'ai jamais rien tendu d'aussi extraordinaire. Jamais. Et vous non plus ».

Après une vie de pauvreté et d'errance en compagnie de ses parents, sorte de saltimbanques ambulants, puis subitement devenu orphelin, Marcus Garvey est employé aux écuries et aux cuisines dans la grande propriété du Duc Craver. Là, il va faire connaissance de ses fils : William, membre d'un conseil d'administration d'une banque poursuivi pour escroqueries et corruption et, Richard, renvoyé de l'armée du fait de ses moeurs, déplacées et malsaines. Impatients et capricieux, les frères Craver sont peu désireux d'attendre ce que leur réserve la justice anglaise et mettent sur pied une expédition au Congo, pays inconnu dans lequel la présence d'or, d'ivoire et de diamants peut offrir la gloire aux audacieux. Ayant des notions de français grâce à sa mère et sachant cuisiner, Marcus Garvey les accompagne dans cette aventure qui se transformera en cauchemar tant la violence et le cynisme envers les noirs qui vont servir de porteurs et de mineurs sont portés à leur paroxysme.
Certes, ils vont bien découvrir une riche mine d'or au fin fond du Congo, mais surtout, ils feront la connaissance d'une autre civilisation venue directement des entrailles de la Terre, celle des Tectons, des êtres d'une blancheur absolue, aux oreilles pointues, aux yeux immenses, au crâne ovale et lisse comme un oeuf, pouvant se démettre des os pour passer à travers d'étroites galeries, gigantesques et visiblement belliqueux.
La rencontre entre ces deux civilisations va être violente, et atteindra un point de non-retour lorsque les conflits d'intérêts se cristalliseront autour d'une Tecton faite prisonnière. le long passage consacré à la capture des anglais par les Tectons, les entrainant dans les entrailles de la Terre est absolument haletant. C'est un passage d'anthologie inoubliable.

Pour celles et ceux qui ont lu La peau froide, cette captive, ce peuple rappellent immédiatement celui découvert sur l'île, créatures venues de la mer, monstres effrayants, créatures maritime très musclées, agiles, aux yeux d'un bleu intense, aux doigts palmés, recouverts d'une peau de requin vert salamandre, d'une peau froide.

Le parallèle entre les deux livres est troublant. le territoire envahi par les étrangers est défendue par des peuples qui viennent directement de ses profondeurs, la mer pour l'île et la terre pour le Congo. Un peuple à la peau glaciale, un autre dont la température excède de 5 degrés notre propre chaleur. Ce sont des peuples qui viennent des entrailles de cette terre envahie, l'essence même du territoire…Et de notre façon de réagir dépend leur volonté de rébellion. Message symbolique fort que veut nous faire passer Pinol quant aux volontés d'ingérence et de conquête des territoires.
Ces peuples mystérieux semblent mettre en exergue tous les maux des hommes...A croire que la terre et la mer sont remplis de maux, et, comme après l'ouverture de la boite de Pandore, ici symbolisée par la conquête violente, le pillage, l'appropriation, "les maladies se plaisent à tourmenter les mortels nuit et jour et leur apportent en silence toutes les douleurs, car le prudent Zeus les a privées de la voix. Nul ne peut donc échapper à la volonté de Zeus. » [ Hésiode, Les Travaux et les Jours]. Seule reste l'espérance...

Sous couvert d'un roman d'aventure dans lequel l'auteur prend plaisir à promener et à balloter son lecteur entre Londres et le Congo, entre Marcus Garvey dans l'expédition et Marcus Garvey en prison, entre Thomas Thomson jeune écrivain écrivant ce récit, pensionnaire dans une drôle d'auberge décatie et Thomas Thomson vieux, entre l'histoire et l'histoire de l'histoire lorsque l'auteur lui-même prend la parole, ce récit permet ainsi d'aborder tout un ensemble de thématiques beaucoup plus graves comme celle du colonialisme, du racisme, de l'entente entre les peuples, la notion de responsabilité, notamment de responsabilité dans la guerre et dans le crime organisé, le pouvoir de l'écrit et notamment de la presse…
Ce livre c'est aussi une ambiance et la découverte de paysages sauvages et féroces, remplie de jeux de lumières, d'entrelacements de vert et de bleu, qui prennent vie sous la plume incroyable de Pinol :

« Il continua vers le haut, toujours plus haut. Les troncs étaient maintenant plus minces. Les feuilles lui frappaient le visage et lui griffaient les mains. Marcus voulait monter un peu plus haut, encore un peu plus.
Finalement, il tendit le bras et une petite branche se brisa entre ses doigts. Ce fut comme si une lucarne s'ouvrait : les yeux les plus verts de l'Afrique se heurtèrent au ciel le plus bleu du monde ».

A noter la simple lettre qui différencie Tecton de Teuton, et de teutons il en sera question dans le livre. Une description marquante de l'ennemi alors que Thomas Thomson est au front, les allemands venant de lâcher l'arme terrible du gaz et apparaissant derrière leurs masques :

« Même aujourd'hui, si longtemps après, cette aube française m'assaille dans mes cauchemars. Les officiers allemands utilisaient des sifflets pour éperonner leur artillerie. Je me rappelle aussi une langue pointue, truffée de blasphèmes et d'éclats. Les uniformes verts, maculés de boue, et les baïonnettes très longues. Leurs casques étaient beaucoup plus compacts que les nôtres, qui ressemblaient à des pots de chambre en miniature. Leurs masques possédaient d'énormes verres ronds. Les casques et les masques leur couvraient la tête et les transformaient en des sortes de créatures plus proches des insectes que des humains. C'était des Allemands, qui auraient pu tout aussi bien être des Martiens ».

L'autre est un ennemi et apparait très souvent sous un visage monstrueux. Que nous soyons l'envahisseur ou l'opprimé, la haine des peuples rend inhumains. C'est sans doute, pour moi en tout cas, le message principal des deux romans de Alberto Sanchez Pinol.

Est-ce que le livre écrit par Thomas permettra d'éviter la potence à notre Marcus Garvey, simple garçon d'écurie accusé des meurtres de fils de notables, je vous laisse le soin de le découvrir en plongeant dans ce livre jouissif et captivant qui, au-delà de l'aventure exotique, est un bel hommage rendu à l'écriture et aux écrivains.

« Tout le monde peut subir une avalanche, une guerre, une déception. Mais tout le monde n'est pas capable de décrire une avalanche, une guerre, une déception ».

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