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Critique de afriqueah


Ce n'est pas vraiment un jeu de mots, ce « Terre ceinte » ; la terre dont parle Mohamed Mboubar Sarr pourrait être la Syrie, avec Alep, ou le Mali, avec Kidal, une terre encerclée, menacée, envahie par le Nord, ; plus probablement le Mali, avec cette toujours possible éventualité que le djihadisme s' étende jusqu'au Sénégal.

Première scène que MMS reprendra dans « de purs hommes » : une exécution publique, dans la ville de Kalep, de deux amoureux pas mariés.

Publique, cette exécution, avec tout ce que cela comporte d'avidité morbide à voir mourir, de volonté d'affirmer que moi je suis du bon côté, que moi je respecte la Loi de Dieu, et je n'admets pas l'amour de ces jeunes, la peur d'y passer bientôt, la lâcheté ordinaire, le frémissement excité de prendre part à un acte immonde.
Ils sont tous là, pour voir mourir, voir monter dans le regard des suppliciés l'angoisse, le délire d'agonie de la mort décuplée par l'attente de l'ordre du chef.
Abdel Karim.
Qui fait respecter la volonté de Dieu, « dans le respect le plus pur de la dignité humaine ».
La grande valeur de ce livre unique est justement de nous présenter ce fanatique digne d'un Calvin, chef d'orchestre de lapidations et exécutions, mais aussi de nous faire entrer dans son désir de pureté, sa soif de croire, en un certain sens son indéniable pensée religieuse méprisant la mort, et pas seulement celle des autres.
C'est un fanatique froid, inébranlable dans ses convictions fondées sur sa foi réelle, pas un exalté un peu bête, alors que lui est un fanatique intelligent « si l'on peut se permettre une telle association de termes » ajoute MMS.

Mohamed Mbougar Sarr ne se moque pas, ne raille pas, il essaie de comprendre cette plaie de la pensée qui en fait finit par interdire de penser. Il essaie de présenter un Islam modéré, plus proche des soufistes et des grands contemplatifs, religion paisible que pratiquent les villageois de Kalep.
Avant la guerre, avant le fanatisme.
Bien sûr les petites mains, anciens brigands ivres de sang qui, armes à la main envahissent peu à peu les territoires conquis, et qui en profitent pour répandre la terreur, sont indispensables à Abdel Karim, qui cependant essaie de faire respecter un semblant d'ordre. A sa façon.
Lorsqu'une femme, parce qu'elle n'est pas couverte, est battue, lacérée, traitée de chienne, Abdel Karim intervient : mains coupées pour les fouetteurs. Ainsi son pouvoir est rehaussé.
Malgré la sauvagerie, et n'espérons pas qu'elle soit vaincue, c'est comme ça, un groupe de « résistants » fondent un journal avec photos des exécutés. Parce qu'une des choses, en temps de guerre et d'occupation, les plus à craindre, c'est la perte du langage. Or il faut continuer à s'exprimer.

Les généraux ventripotents essaient depuis leur fauteuil de rassurer le peuple, qui lui se fait décimer. On ne négocie pas avec les terroristes, affirment-ils pour se couvrir.
Jusqu'à l'autodafé, les livres de la bibliothèque classée patrimoine de l'humanité, et nous pensons bien entendu à Gao et Tombouctou, où les lapidations, meurtres et amputations ont côtoyé la destruction des mausolées sacrés datant des XV et XV ·· siècles : les intégristes ne savent pas tous lire et ne pensent pas lire. Et s'ils savaient, le danger de l'aventure libre de l'intelligence leur insuffle la nécessité d'y remédier.
MMS cite Heinrich Heine : « Là où l'on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes ». Et comme le djihad joint à la montée de l'intolérance progresse dans le désert à la vitesse du désert, ce livre, le premier de notre ami Mohamed, est indispensable pour bien comprendre ses autres livres.
Indispensable lecture, que ce « Terre ceinte », avertissement sur ce qui pourrait arriver au Sénégal, introduction aux évènements de « de purs hommes », doublée d'une écriture intelligente et travaillée.
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