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Critique de gruz


Île était une fois… A travers cet extraordinaire roman, Dominique Scali nous conte l'Histoire de l'île fictive d'Ys, et de ses habitants. Un bout de terre dans l'Atlantique, entre Saint-Jean-de-Terre-Neuve et Ouessant, petit par la taille mais grand par son insularité.

Avec une manière d'y vivre qui n'appartient qu'à ce lieu. Sur Ys, on dit être issois, faire ce qui est issois. C'est ancré en chacun des individus, dans leur manière de penser comme de se comporter.

Dans ce XVIIIème siècle fictionnel, le monde n'est pas tout à fait ce qu'il a réellement été. Sur Ys, on y rencontre un peuple de marins qui, pour la plupart, ont la particularité de ne pas savoir nager.

Savoir se mouvoir dans les flots sans l'aide d'une embarcation est un don que possède Danaé Berrubé-Portanguen dite Poussin. Sa vie servira de fil conducteur tout au long de ces 700 pages.

Ne vous dites point que cette grande aventure n'est pas faite pour vous. Ce livre est au contraire à mettre entre toutes les mains, les touches d'Imaginaire y sont distillées avec délicatesse. Très vite, on croit en l'existence d'Ys, en quelques chapitres on ne doute plus une seconde de celle des personnages.

Point de héros irréel, mais des femmes et des hommes qui cherchent avant tout à survivre dans un environnement souvent hostile, avec le peu de ressources disponibles (plus aucun arbre ne pousse sur l'île depuis des générations, donnant une valeur inestimable au moindre bout de bois mort rejeté par la mer, suite aux nombreux naufrages). Point de magie non plus, ce récit maritime est très terre à terre.

L'honneur est ici donné aux personnages secondaires, de passage ou omniprésents, au gré des rencontres. C'est le récit de ceux qui surnagent, où certains développent des valeurs ou un don particulier. Comme cette Danaé et la nage. Ou encore cet ancien duelliste qui veut monter la seule école de ces terres, à destination des sacripants, ces orphelins qui se battent pour la survivance. La légende se forge à travers d'humbles issois.

Ys est un écosystème à elle seule. Même si certains marins voguent vers d'autres contrées de France ou encore d'Amérique, la vie y a ses codes bien spécifiques.

Il faut dire qu'ici, encore plus qu'ailleurs, il y a les privilégiés et les autres. Les premiers qui vivent au sein de la cité, derrière les remparts, où les ressources sont opulentes. Et les seconds, les riverains, ceux qui vivent le long des rives redoutables, souvent dans un grand dénuement. Cette Cité qui, là-bas, est le monde du silence, à l'opposé de la mer de bruits.

L'objectif de tous est d'entrer dans la Cité, par cooptation méritoire ou en tant qu'unique invité du coopté. Avec chaque année, l'instauration de la Saine Rotation, qui peut, sur le papier, permettre à chacun d'avoir sa chance. Une autre manière de jouer la partition de la lutte des classes.

A vivre à travers quelques us et coutumes particuliers, au gré des immenses marées des équinoxes qui, chaque année, menacent d'engloutir les riverains. Sur ces lieux où le seul dieu est la Mer, aucune autre divinité n'y étant plus vénérée depuis longtemps.

Un monde d'instabilité, au fil des d'existences construites en débris-à-brac. Comme une quête utopiste d'un meilleur. Un ailleurs inventé si proche, qu'il nous semble vite familier.

C'est un véritable tour de force littéraire, par la grâce d'une écriture enchanteresse, un émerveillement de poésie en prose, avec un vocabulaire qui immerge totalement le lecteur dans cette époque et ce monde.

L'écrivaine québécoise a tout pensé, tout réfléchi, sans que jamais les détails ne viennent alourdir le récit, toujours avec la volonté de donner corps et âme à cette aventure humaine.

Un pavé qui se lit avec une facilité déconcertante, malgré son parlé singulier, une autre réussite magistrale. Et ce désir de noter des citations à l'envie, tant le talent de l'autrice éclabousse chaque page.

Les marins ne savent pas nager est une lecture unique. Littéralement, littérairement, vécue au plus près des émotions, des souffrances et des quelques joies de ces personnages, qu'ils soient de passage ou non.

Des vies comme des débris, bringuebalés par la violence des vagues, cahotés dans des existences qu'on vit auprès d'eux. Jusqu'à ressentir une grande tristesse à devoir sortir de ce livre qu'on aurait aimé ne jamais voir se finir, tant l'immense don de Dominique Scali touche au sublime.
Lien : https://gruznamur.com/2022/1..
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