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Critique de Sarindar


Tout art est à la source soit l'expression de la modernité soit une référence à des formes anciennes auxquelles on souhaite donner "une seconde vie" parce qu'elle parlent encore.
À Vienne, entre 1880 et 1914, creuset d'un art nouveau et lieu des réminiscences, point d'affrontement entre la "tradition" si critiquée par le compositeur et directeur d'opéra Gustav Mahler et la novation, qui refusait toute hypocrisie et assumait toutes les audaces et toutes les provocations, tout coexista, et en même temps tout "craqua".
Car Schorske a fait le constat que le libéralisme politique, qui n'aidait pas à satisfaire les grandes attentes sociales mais entendait promouvoir l'émancipation culturelle des "minorités" ethniques qui faisaient partie intégrante d'un Empire qui valorisait d'abord la puissance de ses seules composantes autrichiennes et hongroises, n'avait pu émerger qu'au lendemain de la défaite de l'Autriche face à la Prusse à Sadowa, mais qu'il avait à faire d'une part avec les forces conservatrices et d'autre part avec l'émergence d'un populisme antisémite incarné par celui qui deviendra maire de Vienne, Karl Lueger, influençant un jeune étudiant en Beaux-Arts, Adolf Hitler, recalé pour ne s'être intéressé qu'à l'aspect monumental des constructions viennoises au mépris des humains qui les rendaient vivantes, et qui fera parler de lui après la guerre de 1914-1918 comme agitateur puis comme dictateur dans une Allemagne hypernationaliste, revancharde et xénophobe, pour le plus grand malheur de l'humanité.
Mais Berlin n'est pas notre sujet, c'est Vienne, une Vienne qui ne saurait se ramener au folklore de la valse straussienne, aux décors de fêtes pompeux de Hans Makart.
Vienne, entre 1880 et 1910, c'est aussi le bond en avant d'une architecture qui avec Otto Wagner impose avec force un nouveau modèle fait d'esthétique et de fonctionnalité et s'inscrit dans le paysage urbain en contrepoint des influences gréco-romaines et néo-gothiques qui se donnent à voir sur la grande avenue circulaire du Ring (la Wiener Ringstrasse). C'est la "protestation" musicale de Mahler, de Zemlinsky puis de la Nouvelle École de Vienne sous l'impulsion d'un Schoenberg. C'est la révolution picturale et sculpturale de la Sécession avec Klimt, Kokoschka, Schiele, Moser, etc. C'est l'irruption de la psychanalyse freudienne dans un monde qui ne devinait pas les bouleversements qu'elle amenait avec elle. C'est, avec Herzl, la prise de conscience d'une identité juive qui osait enfin penser à se "réenraciner" dans la Terre Promise des grands ancêtres.
Vienne aveugle ? Vienne, lieu de toutes les transgressions et de la révolte contre un paternalisme étouffant ?
C'est vrai que cette ville semble avoir accouché de tout le XXème siècle, et que son histoire politique et artistique et que la mosaïque de populations qu'elle abritait est comme un résumé de tout ce qui va advenir.

Vienne, fin de siècle de Carl Schorske est le plus bel ouvrage et le plus profond que l'on puisse lire sur cette période à la fois créatrice et annonciatrice des drames du XXème siècle.

François Sarindar
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