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Critique de Colchik


Une snob à la cour du mikado? La dame Sei a la délicatesse et la distinction d'une femme de la haute aristocratie japonaise. « Shônagon », le titre de cour (troisième sous-secrétaire d'État), est le surnom dont est affublée la narratrice. Il évoque ses fonctions de dame d'honneur à la cour de l'impératrice Sadako, le rang social de sa famille, mais aussi sans doute ses propres prétentions. Chaque fois qu'elle s'éloigne de la cour par lassitude envers ses fonctions, ou à la suite de commérages sur son compte, elle n'omet jamais de rappeler que son absence crée un vide sidéral.
Arbitre des élégances et du bon goût, elle aime à commenter la somptuosité des costumes des courtisans, hommes ou femmes. Elle loue sans barguigner ses talents de poète, d'esthète et d'habile séductrice. Elle est sans pitié pour autrui dès lors qu'il se montre laid, mal habillé ou ridicule. Elle possède cet art du courtisan élevé au plus haut point : la capacité d'effacer une personne en soulignant d'un trait unique son ridicule ou sa gaucherie.
Faut-il pour cette cruauté d'aristocrate ignorer la douce nostalgie de certaines notes, la poésie de son regard devant un rameau de prunier ou la première neige ? Bien sûr que non. Mais l'essentiel des notes de chevet n'est pas, à mon sens, dans la culture d'un talent poétique, il est dans le regard lucide et détaché qu'elle porte sur son entourage. Bien sûr, elle s'amuse comme une enfant, feint l'admiration, loue à tour de bras, mais jamais elle n'est dupe de la solitude où la confine le devoir de courtisan. Elle parle de l'amante qui se retrouve seule quand son galant l'a quittée avant l'aube, elle évoque l'amertume de l'exil volontaire ou involontaire qui éloigne le favori de la cour, elle raconte l'aspiration à la vertu et à la piété qui martyrise une âme peu faite pour l'examen de conscience. Elle ignore sa souffrance car son rang et sa destinée ne l'ont pas préparée à se plaindre de son sort. Il ne me viendrait pas à l'esprit de comparer Sei Shônagon à Madame de Sévigné dont elle ne possède pas la rude endurance, mais plutôt à une Madame de Montespan qui place l'orgueil au sommet de sa condition, ce qui la rend, par le fait même, invivable. La maîtresse adorée, la princesse parfaite, l'impératrice Sadako est le châtiment de Sei sur terre. Jamais elle ne la dépassera et toujours elle lui sera soumise. La courtoisie et la révérence de Dame Sei envers sa maîtresse n'a d'égal que la perfidie de son venin quand elle laisse percer les tensions qui se tissent entre les deux femmes. Laquelle a besoin de l'autre, laquelle surpasse l'autre en beauté, laquelle tourne le mieux une poésie impromptue ? Sei nous répond, noblesse oblige, l'impératrice. Mais elle s'arrange pour nous faire comprendre que sa cage est trop petite pour contenir ses ailes. Elle prend donc son envol, de temps en temps, loin du palais et attend qu'on la supplie de retrouver sa place.
Sei n'a pas de réel intérêt pour les domestiques, les serviteurs, les enfants, les vieillards, les humbles. Son monde est trop étroitement structuré pour faire place à des acteurs secondaires. Elle les considère un instant quand ils participent au paysage ou à l'équilibre d'une cérémonie, mais elle ne s'en rapproche pas suffisamment pour les comprendre : elle connaît la solitude la plus parfaite, celle du déni des autres.
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