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Critique de latina


latina
30 décembre 2016
Le grand voyage, en train, vers les bas-fonds. Vers Buchenwald. Il y arrivera, Jorge Semprun, environné de cadavres gelés collés à lui. Entourés d'hommes crevant de soif, grelottants, misérables. Misérable, Jorge Semprun ? Non. Il a su garder sa dignité d'homme. En s'interrogeant, continuellement, sur notre condition humaine.
« Quand on part pour un voyage comme ça, il faut savoir se tenir, et savoir à quoi s'en tenir. Et ce n'est pas seulement une question de dignité, c'est aussi une question pratique. Quand on sait se tenir et à quoi s'en tenir, on tient mieux. Il n'y a pas de doute, on tient mieux le coup ».

Ce voyage qui le conduit de la prison d'Auxerre, où il était détenu à cause de faits de résistance (c'est un « rouge espagnol », rescapé de la guerre civile espagnole, qui s'est engagé à fond contre le nazisme) jusqu'à Buchenwald, en Allemagne, tout près de Weimar, ce voyage, il le raconte 16 ans après, lorsque les strates se sont accumulées au fond de sa mémoire et de ses tripes.
Ici, point de chronologie. Il mêle ses souvenirs de résistance à ceux des arrestations – de ses amis, de lui-même -, à « l'après » du camp, à ce « dehors » dont il rêvait lorsqu'il était « dedans », car « il faut avoir été dedans, pour comprendre ce besoin physique de regarder du dehors ». La libération des prisonniers, de ces pauvres prisonniers affamés dont il fait partie, et leur voyage vers la France, leur accueil par l'administration se mélange au voyage interminable de l'aller dans le wagon noir et glacial, où il « fait la conversation » avec un gars de Semur, pour tenir.

De plainte, il n'en est pas question, ici.
« le grand voyage » est une longue et terrible incantation d'un homme relié à l'Homme. D'un homme qui se veut responsable de sa condition, qui refuse de se laisser aller mais qui refuse de juger ceux qui sont faibles. Il interroge l'autre, il s'interroge. En vrai philosophe, il traque en lui-même et chez chaque être humain qu'il rencontre –fût-il l'ennemi -, le moindre souffle de conscience.

Durant cette lecture, j'ai communié avec lui, j'ai voulu comprendre, moi aussi, j'ai voulu creuser. Et j'ai adhéré à sa conception du monde, des hommes, de la nature.
« Heureusement qu'il y a eu cet intermède de la Moselle, cette douce, ombreuse et tendre, enneigée et brûlante certitude de la Moselle. C'est là que je me suis retrouvé, que je suis redevenu ce que je suis, ce que l'homme est, un être naturel, le résultat d'une longue histoire réelle de solidarité et de violences, d'échecs et de victoires humaines ».

Aimer, adorer la lecture du « Grand voyage », ce n'est pas la question. Jorge Semprun, par son style incantatoire, par son désir de compréhension de tout ce qui est en soi et hors de soi, est un auteur qui m'a marquée au fer rouge.
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