AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de YvesParis


Jean-Michel Sévérino est un Grand Monsieur. Tandis que ses camarades de promotion de l'ENA ont fait carrière dans la politique (Pierre Moscovici) ou dans l'entreprise (Guillaume Pépy, PDG de la SNCF), cet inspecteur des finances surdoué a passé une large partie de sa vie en Afrique. Il lui consacre un livre à la veille de son départ de l'Agence française de développement (AFD) qu'il a dirigé pendant près de dix ans .

Il a l'élégance de le co-signer avec Olivier Ray, le jeune collaborateur qui lui a servi de « nègre ». Pour autant, au « nous » un peu artificiel qui ponctue le propos, on aurait préféré un « je » plus personnel. Hélas, Jean-Michel Sévérino ne brise pas facilement la carapace du haut fonctionnaire tenu par l'obligation de réserve. On cherchera en vain dans ce livre très dense des anecdotes personnelles ou a fortiori des dispositions testamentaires pour son successeur à la tête de l'AFD, Dov Zerah, dont on sait quels débats houleux sa nomination a suscités. Ce livre ne parle ni de son auteur, ni même de l'AFD. L'intérêt que suscite sa lecture en est d'autant diminué. Mais il parle de l'Afrique. Et il en parle fort bien.

L'ouvrage est composé de 23 chapitres réunis en 8 parties. Pour autant il évite le piège de l'éparpillement ou de l'empilement qu'un plan aussi éclaté laissait redouter. Bien qu'il s'en défende, il s'inscrit résolument dans la veine afro-optimiste. Cette orientation n'est ni un voeu pieu ni une exhortation. Si «le temps de l'Afrique » est venu, soutiennent J.-M. Sévérino et O. Ray, c'est pour des motifs objectifs. Sa démographie permet en effet à ce continent longtemps sous-peuplé d'atteindre enfin la « masse critique » qui lui manquait pour se développer ; la constitution d'une classe moyenne favorise l'investissement économique et l'enracinement démocratique ; ses richesses naturelles renforcent son attractivité à une époque caractérisée par la raréfaction des ressources.

Les auteurs évitent le piège de la généralisation qui consiste, comme on le fait trop souvent, à parler de l'Afrique au singulier. Si l'on suit la typologie convaincante qu'ils proposent, il n'y a pas une Afrique, mais trois : l'Afrique rentière menacée par la « malédiction des ressources naturelles », l'Afrique fragile avec ses États prédateurs et ses États fantômes et l'Afrique qui gagne pour des motifs toujours contingents dont il serait illusoire de déduire un modèle unique de développement, un one best way.

La hauteur de vues dont fait preuve J.-M. Sévérino est admirable. Elle témoigne d'une vraie connaissance des réalités africaines et d'un sincère attachement à ce continent dont est exclu le paternalisme qui souvent hélas va de pair avec lui. Mais on regrette que cette hauteur de vues confine parfois à l'auto-censure. Quand J.-M. Sévérino reproche à l'Europe de « rater le virage d'un continent qui ne nous attend plus » et d'entretenir avec lui « des relations compassionnelles faibles teintées, ça et là, de relents de culpabilité postcoloniale » (p. 302), est-ce de la France qu'il nous parle ? Quand il dénonce les anthropologues coloniaux qui enfermèrent l'âme nègre dans un présent sans histoire, pourquoi ne nous livre-t-il pas son opinion sur le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy ? Quand il appelle de ses voeux une relation débarrassée des « relents moribonds de la Françafrique » (p. 311), pourquoi ne cite-t-il pas Robert Bourgi ? Prudence excessive ou souci sincère et louable d'élever le débat ?
Commenter  J’apprécie          70



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}