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Critique de Woland


Woland
06 septembre 2015
Il faut bien l'avouer : Maigret n'a guère de chance avec ses "amis d'enfance." Songez par exemple à cet ancien condisciple, devenu instituteur, qui le fait intervenir dans le très bon "Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas", ou encore à ce magistrat qui vit toujours avec sa mère et chez qui il passe, tout à fait par hasard, dire un bonsoir très pluvieux dans "Maigret A Peur". Et Ferdinand "Boum Boum" Fumal, dans "Un Echec de Maigret" ? le pire ou presque. En tous cas, le moins sympathique, pour ainsi dire le plus répugnant même si, en fait, c'est bien lui la victime.

Mais voilà que, dans "L'Ami d'Enfance de Maigret", vous découvrez Léon Florentin, le "clown" de la classe, fils du pâtissier le plus couru du village où fut élevé le commissaire, fils de notable donc alors que, rappelons-le encore, le petit Jules Maigret n'était que le fils d'un régisseur. Florentin avec une soeur, bien ronde, que, quand il avait quatorze ans et elle seize, Maigret allait timidement dévorer des yeux à travers la vitrine. Car c'était cher, chez Florentin et l'adolescent n'avait pas toujours suffisamment pour entrer et s'offrir un gâteau, rien que pour le plaisir d'échanger quelques mots avec la jeune vendeuse qui le fascinait.

Quand, à dix-mille années-lumière de là, un Florentin hyper-nerveux déboule à la P. J., c'est pour annoncer à Maigret qu'il ne va pas croire l'histoire qu'il va lui raconter et qui, de fait, est proprement incroyable. En gros, disons que lui, Florentin, était l'amant d'une jeune femme, Joséphine Papet, dite Josée, qui se faisait entretenir par plusieurs michetons. Chacun avait son jour, c'était réglé comme du papier à musique tandis que Florentin, lui, c'était un peu l'amant de coeur - et le gigolo. Toujours bourré d'idées mais incapable d'en réaliser une seule ... Et toujours la faute à pas de chance ... Toujours à la charge de Joséphine ...

Bref, Florentin avait ses entrées libres chez Josée et, un après-midi qu'il s'y trouvait, voilà qu'on sonne à la porte. Zut ! Un micheton qui a décidé de faire un écart à ses horaires habituels ! Florentin, qui en a l'habitude, se réfugie dans le dressing et attend avec philosophie que le micheton ait fini son affaire. Mais ça dure, ça dure et, au bout d'un large quart d'heure, coup de feu. Florentin bondit, s'affole, il aimerait bien sortir mais l'assassin est certainement encore là car, si Josée ne vient pas le libérer, c'est que c'est elle la victime, il ne faut pas être bien malin pour s'en douter. Chose curieuse, un nouveau quart d'heure se passe. L'assassin fouille, c'est très clair, il cherche ... Mais quoi ? Enfin, enfin, il s'en va et Florentin soufflerait avec plaisir s'il ne trouvait Josée bel et bien morte.

Si Florentin n'a jamais tué, il a un casier plutôt lourd question escroquerie. Il sait bien que les flics du quartier ne croiront jamais son histoire. Aussi préfère-t-il préfère filer droit à la P. J. pour y retrouver Maigret, "son ami d'enfance." Enfin, ami ... C'est plus qu'exagéré mais, si bizarre que lui paraisse le récit de Florentin, Maigret, bien que n'éprouvant aucune sympathie pour le personnage, y perçoit un accent de sincérité. Florentin ment, Florentin sait des choses qu'il ne raconte pas pour l'instant ... mais pour Maigret, il n'a pas tué.

Tout l'accuse. Et c'est bien ça, le problème. Tous les signes de piste pointent trop clairement vers Florentin. Pourquoi ? Comment ? Maigret ne le sait pas mais il le voit, il le sent ... et il sait bien que ce genre de choses n'est pas normal.

... Et puis, ça l'embête. Parce qu'il n'aime pas Florentin. Parce qu'il lui en veut de "réarranger" leur passé de collégiens de telle façon que Maigret se sente obligé de l'aider à se sortir de la très vilaine situation où, tout fils à papa qu'il était, il a trouvé le moyen de se fourrer. Parce qu'il lui en veut de jouer sciemment sur cette humanité et sur ce sens de la justice que ne cessent de mettre en avant les manchettes des journaux.

En bonne logique et plus il avance dans l'affaire Papet, le commissaire accumule des preuves comme quoi tout bon juge d'instruction lui signerait tout de suite un mandat d'arrêt au nom de Florentin. Mais Maigret s'entête à traîner la patte : c'est trop beau, trop bien fait, trop soigné ... Et le mobile, dans tout ça ? Car enfin, Josée était une poule aux oeufs d'or pour Florentin. D'accord, elle songeait à en prendre un valet de coeur un plus plus jeune - un rouquin inénarrable, Jean-Pierre Bénard - mais elle n'aurait jamais laissé son vieux Florentin à la rue, sans ressources. Il y a des habitudes qu'on ne peut tout simplement pas perdre parce qu'elles sont trop liées à votre jeunesse personnelle.

Et puis, il y a le cercle des michetons. Tous - tous - ont pignon sur rue, l'un notamment à Bordeaux, dans la très riche société des Chartrons. Si leurs parties de jambes en l'air avec Joséphine avaient été connues d'une façon ou d'une autre ... Tous - on pouvait tous les faire chanter.

Mais là encore, qui y avait intérêt ? Joséphine ? Pourquoi ? Son commerce était florissant. Un complice inconnu ? Mais pourquoi abattre Joséphine ? Parce qu'elle ne voulait plus "marcher" ? ... le champ des extrapolations est vaste ...

... Mais au fait, peut-être Joséphine n'était-elle pas la maîtresse-chanteuse ? Peut-être n'y avait-il pas de maître-chanteur ou, pire, Joséphine a payé pour quelqu'un qu'elle ne connaissait peut-être pas ...

Avec cet "Ami d'Enfance de Maigret", on ne s'ennuie pas un seul instant. On saute, on bondit, on rebondit, on se dit : "C'est lui !", puis : "Ah ! non, c'est pas possible " ... on cherche, on fouille, on trifouille, on flaire, on trottine derrière un Maigret de plus en plus bougon, de plus en plus lourd parce que lui, la solution, il la sent proche. du grand art. Et l'admirable personnage de la concierge de Joséphine, Mme Blanc ! Enorme, à la fois antipathique avec quelque chose de terriblement humain, tout au fond, au plus profond ... et sacrément intelligente et maligne ! Oh ! surtout, ne la ratez pas ! Florentin, elle et Maigret nous composent ici l'un des meilleurs opus du Maître liégeois. En tous cas tel est mon avis et j'espère que vous le partagerez. ;o)

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