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Critique de Presence


Ce tome est le premier d'une série publiée par Vertigo, indépendante de toute autre. Il contient les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2016, écrits par Gail Simone, dessinés et encrés par John Davis-Hunt, avec une mise en couleurs d'Hunt et de Quinton Winter.

Il y a quelques années dans une ville de moyenne importance en Allemagne, un père de famille se promène dans la rue avec sa femme, son fils et sa fille (qui tient dans ses bras son ours en peluche Klaus). Un conducteur de camion de livraison écrase délibérément la jeune enfant, et fait même marche arrière pour repasser sur le corps. Les passants alpaguent le conducteur et le tabassent à mort. La jeune fille reprend conscience à l'hôpital, un temps indéterminé après. Elle éprouve des difficultés à voir son père.

Des années plus tard, Chloe Tona Pierce tente de se suicider en se noyant dans un lac en Floride. Elle est sauvée par ses 3 voisins (René, Caleb et le troisième frère) et reprend conscience dans un hôpital. Philip, son mari, s'est fait sauter le caisson peu de temps auparavant, après avoir lu le livre An honest World, d'Astrid Mueller, et visionné un de ses cours d'éveil. Elle va trouver un des amis de son mari, maintenant une personne à la rue, et le questionne. Elle n'obtient qu'un terme sibyllin : la pièce propre (Clean Room). Après un mois d'harcèlement, elle obtient un rendez-vous avec Astrid Mueller, au siège de sa fondation Honest World, à Chicago. Elle y rencontre en fait Killian Reed, le bras droit de Mueller.

À l'automne 2015, l'éditeur Vertigo (la branche adulte de DC Comics) lance une opération d'ampleur, avec le démarrage d'une demi-douzaine de nouvelles séries, certaines mensuelles, d'autres étant des miniséries. Clean Room attire l'attention du lecteur car Gail Simone est une scénariste régulière pour DC Comics, en particulier pour les séries Batgirl et Birds of Prey. En feuilletant ce premier tome, il voit des dessins précis, très propres sur eux, descriptifs, avec un bon niveau de détails, et des formes détourées avec un trait fin.

Effectivement, les dessins présentent un bon niveau de qualité en termes de description. Jon Davis-Hunt réalise l'ensemble des 6 épisodes, sans baisse de niveau d'un bout à l'autre. Il détoure les formes avec un trait fin et précis, que l'on pourrait qualifier de propre, même si ce choix semble sans rapport direct avec le titre de la série (clean = propre). Les personnages présentent des morphologies normales, sans surcharge pondérale, mais avec des tailles et des corpulences diverses. L'artiste sait leur donner des visages différenciés sans aller jusqu'à la caricature. Il montre que Chloe Pierce est une jeune femme encore affectée par ses émotions qui apparaissent régulièrement sur son visage, alors qu'Astrid Mueller est plus froide et plus introvertie avec un visage moins ouvert. Les 3 frères Haverlin laissent également leurs émotions transparaître sur leur visage, alors que Killian Reed suit plutôt l'exemple de sa patronne. le dessinateur réussit à transcrire des émotions très diverses, de la lassitude, à la concupiscence (pour une scène bizarre avec le docteur Hagen).

Jon Davis Hunt s'investit avec une même rigueur dans les décors. Il dessine des façades différentes pour chaque immeuble. Lorsque la séquence le nécessite, il représente une faune et une flore spécifique pour l'endroit considéré. Il conçoit des ameublements spécifiques pour chaque intérieur, en cohérence avec le propriétaire ou l'usage du lieu. Il planifie des prises de vue de manière à éviter les suites de cases uniquement avec une tête en train de parler au milieu, en montrant l'environnement du personnage, ainsi que ses mouvements. Il utilise majoritairement des cases sagement rectangulaires, de 3 à une douzaine par page. Il utilise avec parcimonie des cases trapézoïdales ou superposées pour insister sur un mouvement ou une simultanéité d'actions.

Jon Davis-Hunt et la scénariste ont dû se mettre d'accord lors de la phase de conception pour que les éléments de nature sexuelle soit montrés avec retenue. La nudité est présente à 2 reprises, mais en proscrivant toute posture de nature pornographique, et d'une manière générale l'artiste ne réduit pas les corps à de simples objets. Il maintient un respect pour les différents personnages. Il y a quelques séquences de nature violentes, avec des blessures ouvertes. Les dessins restent dans un registre factuel, descriptif et minutieux, pour un effet horrible, sans exagération gore, sans angle de vue pour augmenter l'impact de la blessure ou du coup porté. Cela confère une forme de retenue et de rigueur, en phase avec le caractère d'Astrid Mueller.

Jusqu'alors, Gail Simone ne s'était pas fait connaître pour ses scénarios adultes ou des structures narratives complexes. Elle avait surtout amené un peu de diversité dans ses séries (culturelles et sociales), et apporté une touche féminine sans être féministe, avec une légère touche de militantisme pro tolérance. le lecteur se demande bien dans quel type de récit il va mettre les pieds. Pour commencer, il éprouve le plaisir d'une narration adulte : pas de sentiments exacerbés, pas d'explication pour jeune lecteur, pas de racolage. Ensuite, il s'interroge sur la structure narrative. Rien que dans le premier épisode, il a donc droit à l'accident criminel survenu à cette petite fille, puis à un bain de minuit à tendance suicidaire, à une enquête en amateur auprès d'un clochard, à une histoire de programme de groupe d'entraide et d'éveil (peut-être avec un fond de secte), à un livre culte, au cadavre de Michael Parks entortillé sur lui-même, et à un entretien où l'intimidation et le bluff règnent en maître, sans parler de l'apparition d'une entité spectrale.

Il n'est donc pas possible de déterminer la direction principale du récit à la simple lecture du premier épisode. le lecteur suit plusieurs fils narratifs, au moins 3 : celui attaché à Chloe Pierce, celui attaché à Astrid Mueller, et celui attaché à Killian Reed, plus quelques autres secondaires et chroniques. Chaque séquence prise pour elle-même apporte quelques pièces du puzzle, quelques informations sur le personnage occupant le devant de la scène, parfois des informations sur le passé. Chaque séquence est agréable à lire prise pour elle-même. La scénariste insiste dès le départ sur l'enjeu pour Chloe Tina Pierce, et le lecteur prend volontiers fait et cause pour elle, au vu du traumatisme qu'a été le suicide de son mari Philip. Au travers de ses yeux il s'interroge sur la véritable nature de la fondation d'Astrid Fueller, sur la possibilité qu'il s'agisse d'une secte. Comme Chloe Pierce, il s'interroge sur les apparitions de ces entités spectrales, sans bien savoir s'il faut les prendre au premier degré, ou y voir la manifestation d'un trouble mental d'un des protagonistes.

Lorsque vient le moment de suivre ou de retrouver les activités d'Astrid Fueller, le doute reste présent en lui quant à leur véritable nature. Doit-il vraiment prendre au premier degré ce qu'il voit, ou s'agit-il de rituels codifiés, nés de convictions erronées de la part d'un personnage ? Assez finement, Gail Simone maintient ainsi l'attention du lecteur, sans pour autant que le récit n'en devienne rébarbatif ou trop complexe. Au travers des dialogues et de leurs actions, émerge la personnalité des protagonistes ainsi qu'une partie de leur motivation. Cela se fait de manière naturelle, sans longue exposition, sans dialogues ou soliloques artificiels.

Quelle qu'en soit la nature, il devient clair qu'Astrid Mueller dispose d'une connaissance qui lui a permis d'établir une fondation, ainsi qu'un programme payant d'amélioration personnelle. Ce type de dispositif et sa nature analytique rendent le lecteur immédiatement méfiant à son encontre. D'ailleurs, il peut voir au fil des épisodes les stratégies mises en oeuvre par Mueller, Reed et leur entourage pour conserver la Fondation propre, à l'abri de l'opprobre, alors même que plusieurs morts suspectes se sont produites parmi des adhérents. le premier épisode établit d'entrée de jeu l'existence d'un élément fantastique qui reste bien présent, sans que le récit ne vire à la science-fiction.

Au sortir de ce premier tome, le lecteur s'est laissé entraîner par une mécanique complexe, à base de séquences courtes sans être syncopées, de mystères accrocheurs, de personnages intelligents et compréhensibles. Il a apprécié un thriller bien ficelé, avec un bon niveau de suspense. Il s'est laissé prendre aux enjeux des uns et des autres, et au plaisir de la découverte des règles de ce monde. Les commentaires sociaux ou philosophiques restent sous-jacents, sans devenir tangibles ou explicites, sans être au coeur du récit. Pourtant ce dernier ne donne pas la sensation de n'être qu'un exercice de style stérile et vain. 5 étoiles pour un thriller adulte, sophistiqué, inquiétant et accrocheur.
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