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Critique de AgatheDumaurier


Je l'ai lu d'une traite, le trouvant excellent, avec juste un petit bémol sur la fin, que je trouve, comme beaucoup de lecteurs ici, un peu rapide.
Un jeune couple de bobos engagent une nounou pour garder leurs deux enfants en bas âge. D'abord, la jeune maman, Myriam, avait succombé au mythe de la maternité épanouissante puis, rattrapée par la réalité du XXIème siècle, a voulu échapper au piège des couches et de l'invasion de soi que constitue un enfant. On nous apprend à nous épanouir et à devenir nous-mêmes, ce qui est incompatible avec la maternité à plein temps, pour la plupart des femmes.
Le premier problème auquel se confronte Myriam est l'étroitesse de l'appartement. Un bobo habite dans Paris intra-muros et circule en velib, comme Paul, le mari. Mais, à l'heure actuelle, à moins d'avoir hérité ou d'être là depuis toujours, comme les vieilles dames de l'immeuble, si on achète à Paris, on a un petit trois pièces, comme l'appartement de notre heureux couple. Et là, avec deux enfants, ça devient vite invivable. L'épanouissement passe par l'espace et une chambre à soi, un jardin, un chien, des chats. Impossible dans ce réduit du Xème arrondissement. Myriam va exploser. Il faut qu'elle sorte : une seule solution, le travail. Mais qui va garder les enfants ? Eureka : une nounou. Mais alors parfaite, sinon rien. Autre mythe à réaliser : la famille parfaite, donc la nounou parfaite.
Nos petits bourgeois font passer des entretiens dans leur trois-pièces. Ils sont dans un film. Il faut que ce soit une évidence, comme dans Mary Poppins. Un coup de foudre. Ca tombe sur Louise. Pourquoi ? Elle est blonde, menue, bien habillée, et la petite Mila la trouve à son goût. Parfait.
Louise entre dans le film et en devient une des scénaristes. C'est une "perle". le petit trois-pièces devient la maison du bonheur, c'est à dire bien rangé, le dîner prêt et les enfants bien peignés. Les parents y passent pour y dormir. Ils sont eux-mêmes des employés parfaits et ne comptent pas leurs heures. Ils sont dans leur monde d'apparence, tout entiers dans la mythologie des jeunes couples dynamiques, qui réussissent tout.
Mais ils ont engagé, sans s'en apercevoir ni même pouvoir le concevoir, une nature brute et sauvage qui n'appartient pas à leur monde. Une femme qui n'a pas d'endroit où aller, comme le dit l'exergue de Dostoievski. Une femme qu'ils n'ont aucun moyen de comprendre, de même qu'ils ne comprennent pas le mensonge où ils vivent. La confrontation entre ces deux mondes devient un conte de fées cruel.
L'autre point fort du roman est la folie grandissante de Louise, très compliquée à appréhender, car le personnage est à la fois une personne réelle, un symbole, et une méchante sorcière. C'est l'incarnation d'un monde au frontière de la marginalité, qui ne tient à la société que par un fil, celui du travail, d'un travail servile, la seule place qu'on peut lui accorder sans études, sans famille, sans héritage, sans soutien. Louise, couverte des dettes de son défunt époux, est dans le déni permanent de cet argent qu'elle doit à l'état, à son propriétaire...Mais là aussi une question me taraude : que fait-elle de son salaire, qui ne doit pas être négligeable ? Il n'en est jamais question. Louise est aussi une grande dépressive, qui projette dans les autres son propre néant et dans les familles qui l'embauchent le échec cuisant de sa propre famille, l'échec total de l'éducation de sa fille, qu'elle a rejetée (pourquoi ? ) et qu'elle tente de conjurer par l'éducation d'autres enfants. Sa quête est impossible, elle perd les pédales, elle se met à haïr ces enfants-substituts qui lui seront enlevés. Louise est aussi le symbole du cancer mental qui pourrit la famille "idéale", qui s'incruste, donne des symptômes alarmants qu'on préfère ne pas voir, les adultes étant incapables de sortir de leurs schémas de pensée. En cela, elle n'est pas vraiment réelle, plutôt une sorte de polstergeist vengeur.
Il est difficile d'interpréter ce message, qu'on pourrait voir comme ultra-conservateur. Leïla Slimani se borne sans doute à faire un constat. Peut-être fait-elle seulement de la publicité pour la crèche : elle ferme à 18 heures quoiqu'il arrive, débrouillez-vous, messieurs, mesdames, pour être à l'heure. Ou je ne sais pas. Moi-même, je n'ose pas creuser plus loin.
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