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Critique de Daniel_Sandner


Retour de lecture sur “Chanson douce” un roman de Leïla Slimani publié en 2016 pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt. Ce roman inspiré d'une histoire vraie, celle de Yoselyn Ortega en 2012 à New-York, raconte l'histoire d'une nourrice, Louise, qui a assassiné les deux enfants en bas âge qu'elle gardait. Elle commence par la découverte des deux enfants et de la nourrice qui est dans le coma après avoir tenté de se suicider. On est d'emblée plongé dans le tragique, le sordide et l'incompréhension la plus totale face à ce crime. le roman est structuré de manière à remonter le fil de cette histoire et à nous expliquer petit à petit comment on en est arrivé là. Tout commence lorsque Myriam la mère des enfants décide de travailler à nouveau après avoir consacré tout son temps à l'éducation des deux enfants Mila et Adam. Avec son mari Paul, ils engagent cette nounou, en grande difficulté financière mais avec d'excellentes références et très talentueuse. Louise est une perle et fait tout à la perfection: le ménage, la cuisine, le rangement, le linge, et bien sûr les enfants l'adorent. Cette Mary Poppins est si parfaite que, peu à peu, une dépendance va s'installer et ce couple de bobos parisiens, pris par son style de vie très axé sur la réussite professionnelle et le confort, ne pourra plus se passer de ses services et négligera les signes avants-coureurs inquiétants dans son comportement. Sous de faux airs de thriller, ce roman est avant tout une peinture très noire de notre monde moderne, où la solitude est omniprésente, que ce soit du côté des parents qui ont un côté pathétique en tombant dans cette dépendance ou du côté de la nourrice, une femme qui n'a pas de vie à elle, pas de corps, de sexualité, et qui est engluée dans de gros soucis financiers. un récit qui n'est pas sans me rappeler le film de Claude Chabrol “La cérémonie” avec ce côté confrontation de classes très présent, entre ces deux mondes qui se côtoient sans vraiment se comprendre, ces deux mondes totalement différents qui finalement ne se croisent qu'à travers des emplois domestiques. Il y a celui de Paul et Myriam, fait de voyages à l'étranger, de réussites professionnelles, de soucis de riches et celui de Louise, fait de travail précaire, de misère, de violence sociale et d'échecs familiaux et sentimentaux. On parle dans ce livre de rapports de dominations par l'argent, de préjugés de classes et de culture. Un livre qui a une dimension féministe assez particulière, puisqu'il traite du destin de deux femmes qui ont une approche totalement différente de leur condition de femme, entre Myriam qui refuse de s'effacer derrière son mari au risque de passer pour une mauvaise mère, et Louise qui endosse le role de femme au foyer jusqu'à l'extrème, jusqu'à l'aliénation mentale puis l'infanticide. Ce sont aussi deux visions totalement opposées de la maternité, par deux femmes vivant dans deux milieux sociaux différents, deux réalités différentes. J'ai retrouvé avec plaisir dans ce livre le style d'écriture assez particulier de Leïla Slimani, que j'ai déjà pu apprécier dans “Le jardin de l'ogre”, très fluide, basique, sans grandes fioritures, une écriture surtout très précise et clinique, parfaitement adaptée à ce récit, comme elle l'était déjà pour son roman précédent. Un livre choc, qui dérange, avec cette descente aux enfers un peu malsaine de Louise qui en fait un livre marquant, intelligent, qui nous bouscule et nous pousse à réfléchir sur le fonctionnement de notre société. Pour conclure, un roman certes noir, pessimiste, mais un très bon roman, avec un prix Goncourt très certainement mérité. 

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"Toute sa vie, elle avait eu l'impression de gêner. Sa présence dérangeait Jacques, ses rires réveillaient les enfants que Louise gardait. Ses grosses cuisses, son profil lourd s'écrasaient contre le mur, dans le couloir étroit, pour laisser passer les autres. Elle craignait de bloquer le passage, de se faire bousculer, d'encombrer une chaise dont quelqu'un d'autre voudrait. Quand elle parlait, elle s'exprimait mal. Elle riait et on s'en offensait, si innocent que fût son rire. Elle avait fini par développer un don pour l'invisible et logiquement, sans éclats, sans prévenir, comme si elle y était évidemment destinée, elle avait disparu."
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