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Critique de gill


Voilà un titre qui ne manque pas d'interpeller, qui amènerait des protestations, sinon un refus, ou tout au moins une discussion si l'on n'allait pas voir, sans traîner, curieux que nous sommes, ce qui se cache derrière le lever de rideau de cette série de "saynètes" articulées en trois chapitres.
"Contre le progrès, contre l'amour et contre la démocratie" est la déclinaison de vingt et une raisons d'aller au théâtre, de le lire, et de s'indigner.
Esteve Soler est un jeune auteur catalan. Il est audacieux et talentueux.
Je le remercie de m'avoir offert cet atypique morceau de théâtre qui a été traduit par les étudiants de master 1 du CETIM de l'université de Toulouse-le-Mirail.
L'idée de juxtaposer, l'un en face de l'autre, la version originale espagnole et la version française, confère déjà à ce recueil la qualité de bel outil linguistique.

Mais de cette trilogie théâtrale, qu'en est-il ?

Sonnant comme une première accusation,"Contre le progrès" contient 7 petites pièces burlesques :
le rideau se lève dans une salle à manger où un couple entre deux âges mange tout en regardant la télévision et soudain c'est, le cynisme aidant, l'égoïsme forcené dans lequel nous vivons qui apparaît et sera mis en accusation tout au long des différentes scènes.
Un homme se fait renverser par le tramway, un fille arrive et l'observe....
Un de ces deux hommes, chefs d'entreprise, a fondé une nouvelle religion...
Un homme trouve, dans sa salle à manger, une pomme géante...
Une institutrice lit, dans sa classe, un conte qui n'est autre que le petit chaperon rouge à un groupe d'enfants...
Au buffet d'une gare, un couple vit les derniers moments de leur union sous contrat...
Un homme à tête de phoque frappe avec un bâton un enfant ensanglanté et tente de justifier son geste...

Et l'auteur de récidiver "Contre l'amour", dans un réquisitoire de 7 nouvelles autres petites pièces burlesques :
Pour obtenir la main de la princesse, un paysan devra apporter à cette dernière le coeur de sa mère...
Un jeune couple arrive à l'hôtel mais au moment d'entrer dans la chambre, la femme se casse en mille morceaux...
A la terrasse d'un café, une des deux amies en train de discuter est nerveuse, son ex a disparu et semble avoir investi l'intérieur de son corps...
Deux jeunes ont la ferme intention de s'envoyer en l'air, pourtant il n'a pas pensé à emmener des pilules d'amour...
Sur une planète lointaine, deux astronautes, un homme et une femme sont seuls...
Un homme et une femme, d'une quarantaine d'années, sont plongés jusqu'au cou dans une substance visqueuse et répugnante. Ils discutent....
Un homme est assis sur une chaise. Ayant travaillé dans le porno, il se laisse aller à faire quelques confidences....

Et pour conclure, "Contre la démocratie", l'auteur prend à témoin 7 petites pièces de "Grand-Guignol" :
Un couple est emprisonné dans deux cocons, confectionnés par deux araignées géantes. Ils ne peuvent se regarder mais devisent ensemble...
La ville est dévastée. Deux hommes l'observent de la baie vitrée d'un bureau futuriste...
A deux heures du matin, un homme frappe à la porte de ses voisins. Il se demande quel chiffre il y a après le 6...
Dans un parc sale et abandonné, un homme en costume cravate entre avec un lance pierre...
Une nuit, des parents réveillent, soudain, leur enfant...
Farah, une femme portant la burqua, entre en scène. Son voisin, José, traduit ses paroles. Elle croit en la démocratie...
Dans un bar ténébreux, la jeune serveuse refuse de servir Dick, un homme qui ressemble étonnamment à Richard Cheney, le vice président des USA...

Lorsque le rideau se referme sur les dernières pages de ce recueil de Théâtre, l'on est partagé entre l'étonnement, la réflexion et l'indignation.
L'auteur, en dramaturge efficace, ne recule pas devant la provocation, ne craint pas de choquer mais place finalement son lecteur face au questionnement qu'il a décidé de lui soumettre.
Le propos, s'il est extrêmement intelligent, est parfois cruel. Mais il guide inéluctablement vers une profonde remise en question de nos valeurs occidentales.
Dans sa forme, on peut juste, peut-être, faire deux petits reproches à cette trilogie : le format parfois trop court des "saynètes" pour leur laisser le temps de trouver un développement adéquat et le parti pris de l'auteur de dépersonnaliser son théâtre en ne donnant presque jamais de noms à ses personnages.
Sinon durant cette lecture, j'ai été intrigué, absorbé, j'ai détesté quelques personnages, à certains moments l'auteur, j'ai adoré, je n'y ai pas cru, j'ai manqué l'heure du boulot et finalement refermé le livre avec beaucoup de regrets...avant de le relire une deuxième fois.
C'est en tout cas, un livre qui fait la preuve, s'il en était nécessaire, que le Théâtre est vivant et que notre regard devra se tourner maintenant vers l'Espagne.
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