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Critique de Pecosa


En 2016, Jerry Stahl, plus dépressif que jamais, le moral, le couple et la carrière dans les chaussettes, décide de se confronter à pire. Il devient passager d'un bus qui le conduit pendant deux semaines dans les camps de concentration polonais et allemands en compagnie d'un groupe hétéroclite de touristes, des homosexuels sexagénaires, un conducteur de bulldozer australien, un couple de Texans dynamiques … aux motivations très variées (dont un fameux « j'ai vu La liste de Schindler »).
Nein Nein Nein! - sous-titre: "La dépression, les tourments de l'âme et la Shoah en autocar" - est donc le récit gonzo de cette expérience de Dark Tourism, par un Stahl bientôt sexagénaire, seul, et désespéré, qui traine non seulement ses casseroles existentielles, mais le passé de sa famille ashkénaze dont une partie n'a pas survécu à la guerre, et dont le propre père a fini par arriver seul à l'âge de neuf ans aux Etats-Unis en évitant miraculeusement pogroms en Lituanie et déportation.

L'échec de la transmission de l'Histoire que le romancier israélien Yishai Sarid avait évoqué dans l'excellent le Monstre de la mémoire, Stahl l'évoque aussi à sa manière, avec beaucoup de recul et d'humour bien noir. Atterré par la « disneylisation » des sites - « De mes précédentes virées, j'ai déjà rapporté un magnet des camps de la mort, ainsi qu'une poignée de cartes postales d'Auschwitz - qui n'a pas envie de voir Arbeit Macht Frei épinglé sur son frigo?- mal à l'aise à l'idée de se rendre dans les sanitaires du camp (« Les toilettes à l'extérieur du musée d'Auschwitz sont payantes (1 zloty); celles dans l'enceinte du musée (Bloc 18 et derrière la chambre à gaz) sont gratuites. » dixit Tripadvisor), Stahl, qui semblait vouloir trouver un lieu au contact duquel sa dépression serait tout à fait appropriée, un peu comme un cancéreux qui entreprendrait un court séjour à Tchernobyl, découvre l'Humanité dans toute sa splendeur. Ancien toxicomane au passé agité, il semblait pourtant avoir tout vécu.

L'image d'une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des Juifs et aussi de l'Humanité , ravivée par l'une des obsessions de Stahl, le mandat de Trump et son cortège d'horreur, dont la stérilisation de femmes migrantes, alliée à son sentiment de culpabilité -« mon pauvre père a t-il esquivé des pogroms, transité par Ellis Island, lutté pour gravir les échelons, tout ça pour que son fils, une fois son diplôme en poche, se retrouve à écrire de faux courriers de cul pour le forum Penthouse? » - parcourt le texte, qui n‘est pourtant ni un pamphlet, ni un réquisitoire.

Nullement inapproprié, le récit de ce voyage dans lequel on retrouve l'acidité d'un Marc Behm dans La Reine de la Nuit, est du Stahl pur jus, un Stahl cultivé et caustique dont les blagues et les interventions tombent souvent à plat, un Stahl assez tolérant et stoïque quand on songe à tout ce qu'il voit et qu'il entend, un Stahl fidèle à lui-même, qui consulte alt, le site des fantasmes BDSM pour savoir si les déviances sexuelles de ses membres vivant près des camps sont particulières.

Corrosif et désespéré.
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