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Critique de Dandine


Des contes sur un village oublie de Galicie, des habitants oublies qui cherchent tout le temps quelque chose ou quelqu'un ailleurs, alors que personne ailleurs ne pense a eux ni les cherche pour quoi que ce soit. Une societe vieillissante, qui n'arrive pas vraiment a s'adapter aux changement des temps, aux debuts de la transition politique en Pologne, apres la liquidation des cooperatives agricoles d'etat. Des desherites, perdus dans une Galicie ou les “eternelles" certitudes d'antan fondent comme neige au soleil.

Un village croupissant, traverse par une rue pavee a moitie, limite par deux sites, deux noyaux enblematiques, le coeur et les poumons, l'eglise et le bar. Les petites vieilles noires se fondent dans l'obscurite de l'eglise, les hommes boivent leur amertume dans la grise poussiere du bar.

Des contes sur des personnages et des lieux. Chaque personnage a droit a un conte, mais des le milieu du recueil il y en a qui reviennent hanter ceux des autres, s'y imbriquent et finissent par tisser une trame qui donne a ce livre une semblance de roman.

Tous un peu paumes. Jozek, le petit demerdard, un peu voleur, un peu simplet. Wladek, grand feignant a l'epoque du kolkhoze, qui se decouvre une nature d'entrepreneur. Kruk, le forgeron retraite, et Lewandowski l'esseule, qui racontent inlassablement les insignifiants details de leurs voyages, a Krakow ou a Varsovie. Janek, le bucheron tractoriste, qui partira travailler a l'etranger. le sergent de police Roux, timide, qui reste chez lui a regarder par la fenetre ce qui se passe dehors. “L'element essentiel du service est l'immobilite, pensa-t-il”. Quelques femmes: la vieille Meme, qui pousse des cris pour faire fuir les loups quant elle fait paitre ses chevres. Son mari s'est noye suite a une cuite et six de ses sept filles sont parties. Quand la foudre s'abat sur sa maison, elle murmure, fouillant les decombres brulees: “Dieu est un homme, Dieu est un homme”. Maryska, sa fille, qui se donne a tout le monde jusqu'a ce que Gacek la prenne en main. Mais que lui est-il arrive de grave, et pourquoi met-on Gacek en prison? Mystere.

Et puis il y a Kosciejny, l'abatteur de cochons. Kosciejny, qui sert de fil reliant les histoires de tous les autres, cousant les differents contes en une amorce de roman. Kosciejny: “son air habituel d'epouvantail echappe du jardin. A quarante ans, c'est a ca que ressemblent les hommes maigres dans leur treillis. Leurs traits sont gommes par le temps, mais en vieillissant, reconcilies avec lui, ils retrouvent leurs visages propres. Peut-etre pour que la mort puisse les distinguer”. Un jour gris il entre dans le bar et plante son couteau de boucher dans un voisin qu'il soupconne de coucher avec sa femme, puis se rend directement au poste de police ou le sergent Roux dans son uniforme deboutonne lui dit : “Dieu te garde, Kosciejny ”. Emprisonne, il meurt de froid lors d'une permission, n'ayant droit ni a une sepulture chretienne ni a une messe. Il devient un fantome qui hante le village et s'introduit dans les maisons et les reves de ses habitants. Il parle au sergent Roux et lui promet des tuyaux sur un homicide (s'agit-il de la mort de Maryska?) s'il commande une messe a son intention. Roux, non croyant, entre pour la premiere fois a l'eglise parler au cure etonne. Et il reussit a organiser une grande messe, embarquant de force tous les piliers du bar pour faire foule et meme convaincant Lewandowski a jouer de l'harmonium. Un final d'apotheose mystique. Mais que lui murmurera le fantome de Kosciejny a l'oreille? On ne le saura jamais.

Contes de Galicie. Contes d'un village de Galicie saupoudres de realisme magique. Contes en une langue qui se veut simple et se revele tres poetique. Contes d'une fin d'epoque en Galicie. L'epoque d'antan n'etait pas tres faste mais la fin est pitoyable. Navrante, comme nous le fait ressentir le conte intitule le lieu, qui decrit un carre de terre rasee ou s'elevait une eglise en bois viellissante, demontee pour etre transportee en un musee lointain; un grand espace vide ou traine encore l'air de l'eglise. Son air, peut-etre reste pour toujours au village: “Les tableaux et les objets, c'est ce qu'il y a de moins fascinant dans une eglise; ils rappellent trop le reste de la realite. Ils essaient de s'en arracher, mais y retombent, preuve de la vanite de tout effort. Par contre, l'air enferme dans le cube, l'espace circonscrit par la voute, les murs et tous les details architecturaux, constituent le plus parfait moulage de la langueur. On y entre, on sent un frolement sur la peau, mais tout coule entre les doigts, on peut juste en garder dans les poumons un bref instant”.

Un village, declinant. Serait-il condamne? Je ne pourrais l'affirmer, mais en cette epoque de capitalisme sans freins et sans remords, c'est une possibilite a envisager. Alors lisez ce livre, le livre que lui a consacre Andre Stasiuk, avant qu'il ne disparaisse. C'est tout court. Quelques pages, une rue, quelques maisons, une eglise, un bar, une poignee d'etres oublies de Dieu. Oublies, mortifies, confus, tellement humains… Que ce soit votre b.a. scout de 2022. Vous en serez recompenses.
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