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Critique de colka


colka
30 septembre 2018
Lorsque j'ai décidé de lire A la mesure de l'univers de Jon Kalman Stefansson, je ne connaissais cet auteur que par les critiques élogieuses que j 'en avais lues sur Babelio.
J'avoue que j'ai été surprise lorsque j'ai commencé la lecture du roman et qu'il m'a fallu opérer un certain lâcher-prise avant de me laisser entraîner dans l'histoire de cette saga familiale sur trois générations. Stefansson balade sa lectrice ou son lecteur à différentes époques et opère un télescopage temporel qui va de l'entre deux guerres à l'époque actuelle. Même chose pour les lieux : Reykjavik, Keflavik - petite ville où débarque le héros principal Ari sur la demande de son père mourant, Jakob - parfois aussi quelque part dans l'univers...
Pourquoi ai-je accepté aussi facilement de perdre pied et de suivre Ari dans ce retour vers ses racines familiales ?
Les raisons sont multiples. Mais la plus évidente est la force et la densité de l'écriture de Stefansson lorsqu'il évoque ses obsessions majeures.
Celle de la mort, présente dès les premières pages du livre dans une très belle scène où une petite fille demande à sa mère si ça fait mal de mourir. Difficile dans une évocation comme celle-la de ne pas tomber dans le pathos ou le mièvre. Eh bien, non, Stefansson nous offre un tableau à la fois tragique et d'une incroyable douceur.
La violence physique exercée sur les femmes, sur les enfants ou tous ceux dont le seul défaut est d'être différent, irrigue également tout le roman et scande littéralement tous les moments forts.Mais il ne s'agit jamais d'une violence gratuite ou dépeinte avec une certaine complaisance. Stefansson n'en donne pas non plus une explication simpliste. Bien sûr il fait la part belle à l'alcoolisme apparemment omniprésent en Islande, sur fond de misère sociale. Ce n'est pas la seule explication. En arrière-plan, derrière les gifles et les coups assénés aux plus faibles, se dessine l'image d'une virilité masculine abusive qui ne trouve pas d'autres moyens que cette violence incontrôlée et incontrôlable pour exprimer son désarroi ou son mal-être. Et là encore comment ne pas être profondément ému lorsque le père d'Ari, Jakob, va accepter de laisser couler des larmes salvatrices : celles qu'il n'a jamais pu verser à la mort de sa femme... et qu'il va verser dans les bras de sa dernière compagne, Anna. Un très beau moment romanesque pour la lectrice ou le lecteur qui n'en pouvait plus de la violence de cet homme tout en tensions et non-dits.
Les figures féminines sont d'ailleurs de très beaux personnages dont la fragilité et la force cohabitent dans une belle promiscuité. J'ai été vraiment touchée par Margret, la grand-mère d'Ari, une femme vibrante, courageuse mais aussi dévoreuse de vie car elle n'hésitera pas à aimer deux hommes en même temps, ce qui dans les années trente n'était pas vraiment dans les moeurs surtout pour les femmes... L'amour transgressif est très présent dans le roman et il fait un beau contraste avec l'amour mère-enfant, leit-motiv, qui revient en boucle, notamment, dans l'évocation des relations d'Ari avec sa mère, morte alors qu'il avait cinq ans. Cela donne lieu à de très beaux passages fantasmagoriques, qui, dans une sorte de ralenti, évoquent les derniers moments de complicité passés entre eux. Moments vécus ? rêvés ? fantasmés ? On ne sait pas, on perd pied mais pour mieux se retrouver dans une autre dimension : "celle où l'univers nous traverse". C'est beau, consolant, apaisant et quel merveilleux contrepoids à la noirceur et au désespoir également omniprésents.
Dernier clin d'oeil de Stefanssoon à la fin du roman : le narrateur s'en va, quitte Ari ou plutôt il disparaît sans qu'on sache là non plus s'il a vraiment existé ou s'il n'a été tout au long de l'histoire qu'un double d'Ari et non un parent comme on le pensait. Trait d'humour habilement glissé et qui laisse le lecteur sur le chemin avec ses questionnements, ses doutes et peut-être l'envie de lire la suite des aventures d'Ari ;-)
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