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Critique de Antyryia



Avec une couverture grise sur fond blanc, rappelant les excellents Tout n'est pas perdu de Wendy Walker ou L'oubli d'Emma Healey, je m'attendais avec cette publication de mai à un nouveau thriller psychologique de la part des éditions Sonatine. Conditionné tant par le visuel que par l'éditeur, j'ai été surpris quand ce livre s'est avéré être un simple drame familial, presque à mi-chemin entre l'essai et le roman.

Juste quelques mots sur l'histoire. Elle nous fait entrer dans l'intimité de la famille de Maya, enseignante à l'université de Columbia. On fait rapidement connaissance de ses deux enfants : le cadet, Ben, est un garçon sans histoires ou presque ( "Son fils n'a jamais eu assez d'espace pour devenir un problème à son tour." ) tandis qu'Elinor - surnommée Ellie - est l'exemple même de la fille qui attire les soucis et complications. Son physique parfait n'y est pas étranger.
"Si la beauté était une marchandise, sa fille était si riche qu'elle pouvait en distribuer à quiconque choisissait de regarder."
Irresponsable, Ellie voit des hommes de tous âges tourner autour d'elle comme des vautours, succombe trop souvent et sans raison à leurs avances, tombe enceinte à seize ans, sombre dans la drogue, arrête les études... de quoi se faire quelques cheveux blancs pour ses parents.
Vaguement présent, le père donne quant à lui l'impression d'avoir baissé les bras. ( "Qu'est-ce qu'on a fait pour se planter à ce point-là ?" ).
Et c'est à peu près tout. Trois cent pages au rythme très lent, où seront principalement abordés les différents angles relationnels d'une mère et de sa fille.

Au niveau de la construction, nous avons une alternance passé / présent. Durant l'été 2011, Ellie commet une erreur de plus et sa mère, plutôt que de l'envoyer en cure de désintoxication, l'envoie chez une ancienne étudiante et amie avec l'espoir que ce changement d'environnement lui ouvre les yeux. Il n'est pas question de jeter l'opprobre sur leur famille aisée.
"Secrètement, Ellie trouve quelque chose d'assez exaltant à ces restrictions toutes neuves. Elle aime bien les horaires fixes, les règles, l'idée même de structure, même si ce sont des choses qu'elle aime transgresser."
Ces chapitres nous sont principalement présentés avec le point de vue d'Ellie. Ce sont ceux de la destruction. Dès le début, le lecteur sait que le pire est encore à venir et que cette fille n'en n'a pas fini avec les grosses bêtises. Sauf que celle qui arrive ne sera pas réparable. le mot "prison" est même prononcé. Connaître cette tragédie est la principale raison qui pousse à tourner les pages, c'est le seul suspense, c'est le point d'orgue, la charnière des deux périodes du roman.

Durant l'hiver 2013, c'est Maya que le lecteur suivra plus précisément. Une mère démolie, une mère qui se demande comment elle a pu échouer à ce point-là dans son rôle parental, une mère qui a peur de sa propre fille cette fois placée en centre de désintoxication.
"Quand elle ne parle pas à Ellie, elle est quelqu'un d'autre. Il n'y a pas trace de l'inquiétude, de la terreur qui brouille ses mots."
Et pourtant, c'est aussi la phase de reconstruction. Quand on a atteint le fond, rebondir devient la seule option.

Le problème de cette alternance 2011/2013, c'est que l'auteure n'a pas pu s'en contenter. C'est à dire que pour expliquer, démontrer, présenter d'autres personnages on a des retours en arrière récurrents à d'autres périodes encore. Ainsi Maya évoquera sa relation avec son propre père, sa rencontre avec son futur mari, la façon dont elle a décroché son poste d'enseignante, ses souvenirs avec ses collègues ou ses étudiants. Ce procédé permet certes de multiplier les points de vue, et de présenter plus largement cette mère, son vécu et ses relations, mais le récit et son peu de rythme s'en trouvent destructurés. Déjà c'est lent, il faut suivre la chronologie, mais en plus subitement on se retrouve avec une narratrice vingt ans plus jeune évoquant sa grossesse et la venue au monde d'Ellie. Ce livre, au langage assez soutenu, demande une concentration constante pour comprendre que l'introspection maternelle nous a emmené dans un nouveau flash-back, à l'intérêt parfois discutable. Vraiment aucune fluidité, et très peu d'éléments contribuant à créer une tension à l'exception de la spirale infernale dans laquelle Ellie est tombée.

Alors pourquoi deux étoiles et demi pour un roman qui, de toute évidence, m'a ennuyé ? Parce que même s'il ne se passe pas grand chose de palpitant et qu'il n'y a pour ainsi dire aucune histoire, les réflexions et pensées sur les relations humaines et principalement sur la parentalité et le fil invisible qui relie parents et enfants est admirablement analysé.
"J'imagine qu'il y a des choses qui nous relient aux gens qui nous ont donné naissance, aux gens auxquels nous avons donné naissance."
Ecrit avec énormément de pudeur et d'empathie, Contre moi arrive à retranscrire ce lien complexe, à mettre des mots là où n'en met jamais, et c'est la raison pour laquelle je rapproche l'oeuvre de Lynn Steger Strong de l'essai : il s'agit d'une oeuvre de réflexion. Qu'on soit parent, enfant - et bien souvent les deux à la fois - , que la relation avec notre famille soit destructrice ou harmonieuse, chacun se reconnaîtra et sera touché par l'histoire de cette mère et de sa fille.
Parce qu'on n'est pas dans une famille dysfonctionnelle, Maya n'est pas une mauvaise mère et Elinor n'est pas la pire des pestes. L'identification est donc aisée. Mais alors, quelle est la part de responsabilité des parents quand un enfant sombre dans le chaos ? Qu'auraient-ils pu faire d'autre ? Qu'auraient-ils du faire autrement ?
"Sa mère s'employait tant à faire leur éducation, parfois, qu'Ellie ne pouvait pas respirer."
Etre parent est un travail épuisant, à plein temps, et Maya n'est pas la seule à avoir parfois ressenti le besoin de respirer, de vivre un peu pour elle-même. Doit elle être condamnée pour avoir voulu le calme quelques minutes ou quelques jours ?
Il faut espérer que nos enfants vont réussir dans leur vie personnelle et professionnelle, mais où est la frontière entre les encouragements et la déception, quand la voie empruntée est loin de nos aspirations ? A-t-on le droit de parler de désillusion ? Quelle réaction avoir si malgré tous nos efforts l'enfant est dans un processus d'autodestruction ? Jusqu'à quel point contrôler ses fréquentations ? A-t-on le droit de s'immiscer dans sa vie privée, de consulter sa messagerie, sa page Facebook, si on est persuadé de le faire dans son intérêt ? Quand l'enfant doit-il apprendre de ses propres erreurs et quand l'adulte doit-il intervenir ?
"Ses parents ont acquis une certaine maîtrise, il faut le dire, dans l'art de placer la barre plus bas."
Quand faire confiance et quand punir ? Comment punir et quand pardonner ? Quel est le juste équilibre entre la liberté qu'on doit accorder à ses enfants et le contrôle du moindre de ses actes risquant de l'étouffer ? Pourquoi le dialogue, primordial, n'est pourtant parfois pas suffisant ?
Quelle part de chagrin est-il possible d'absorber ?
Etre parent, c'est être responsable d'un être humain. Si Lynn Steger Strong fait comprendre que les solutions sont rarement dans les manuels prévus à cet effet, ni dans la bouche d'autres parents s'estimant plus compétents ( "On avait l'impression que le monde entier devait en savoir plus long que nous sur le métier de parent." ), elle ne donne pas non plus de réponses, uniquement des axes de réflexion permettant au moins de déculpabiliser quand l'éducation n'a pas donné le résultat escompté.
Parce que la souffrance est très présente dans cette oeuvre. Entre cette jeune femme qui a un besoin maladif de plaire et qui aspire à la douleur ( "Elle voulait être déchirée, être brisée, de façon à avoir quelque chose à s'efforcer de réparer." ) et cette mère dépressive qui est hantée par les erreurs qu'elle a forcément commises pour en arriver là, et par cette rupture peut-être définitive avec sa fille qu'elle chérissait plus que tout.
Une souffrance telle qu'être heureux ou juste sourire, elle se l'interdit tellement c'est indécent.

Amateurs de page-turner, restez loin de ce roman. J'aime pourtant quand c'est lent, quand les pièces d'un puzzle se mettent doucement en place, mais ça n'est pas le cas ici. Même si on attend la conclusion avec une relative impatience, le chemin pour y arriver est très tortueux et sert davantage le sujet du roman que l'acheminement vers sa conclusion.
Mais même si j'ai été déçu globalement par le manque de fluidité, j'ai aimé l'écriture élégante et nuancée, et j'ai aimé l'intelligence de toutes ces questions. Jusqu'à quel point est-on responsable de ses enfants et de leurs actes ? Quel est ce lien indéfectible et invisible qui lie une mère et sa fille, ce fil invisible et émotionnel qui les relie même à distance ? Est-ce qu'aimer ses enfants est suffisant pour pouvoir se pardonner leurs erreurs ? C'est ce qu'essaie de transmettre Lynn Steger Strong, tout en subtilité.

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