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Critique de topocl


Ce livre était fait pour moi, ai-je cru. Gertrude Stein, l'une des figures-phare de la vie intellectuelle et artistique du début du XXème siècle revient sur l'histoire de sa famille, sans la nommer. Comme dans toutes les familles d'Amérique ou presque, on y retrouve des ancêtres qui ont immigré, des générations qui ont travaillé pour devenir de bons Américains. Autour d'eux des voisins, des gouvernantes, des couturières à travers qui Gertrude Sein veut brosser un portrait général de l'Amérique, excusez du peu.

L'un des problèmes, c'est que l'histoire de cette famille et de ses périphériques occupe moins de la moitié du livre, - et en occupe de moins en moins au fil des pages - et est en outre racontée de façon totalement analytique et démonstrative, sans aucune empathie voire sympathie, qui fait que ces personnages restent prototypiques, désincarnés, inconnaissables. Ils ne sont qu'un prétexte à une logorrhée, une mise par écrit des théories socio-psychologiques parfois discutables de Mme Stein, pour qui la généralité semble un mode de pensée. Elle postule que chacun est un « tout », a une nature profonde, mais que celle-ci ne s'inscrit que dans la répétition de ses propres comportements et agissements, et des comportements des autres, permettant de regrouper les gens en catégories, qui agissent comme ci, qui agissent comme ça.

C'est d'un fastidieux absolu. Car l'idée de répétition, n'est pas qu'une idée, c'est un fait que Gertrude Stein nous fait vivre dans nos tripes. Elle répète des phrases entières, discrètement modifiées ou même pas, des paragraphes entiers, des anecdotes entières, des réflexions et analyses entières. Elle se répète indéfiniment, au paragraphe suivant, à la page suivante, au chapitre suivant, au sein duquel elle se répète encore trois fois dans la même page, puis à la page suivante etc… C'est une accumulation de répétitions de faits, mais surtout de théories psychologisantes fumeuses et définitives. Une vague pudeur ( ?) lui fait insérer moultes fois « je l'ai déjà dit » au fil des pages (des fois qu'on n'aurait pas remarqué)

Au bout d'un certain temps de lecture, lectrice dépitée et submergée, je me suis rendue sur internet, et je n'ai pas tardé à trouver ça, sur le site En attendant Nadeau, sous la plume de Claude Grimal :

« C'est donc un texte connu pour son extrémisme ou son illisibilité romanesque que l'on nous propose de lire. Pourtant, indéchiffrable il ne l'est pas ; difficile à suivre, oui ; monstrueux, certainement. Il s'allonge en effet de manière démesurée sans construire vraiment d'intrigue, empilant quasi ad infinitum phrases et paragraphes en une tyrannie de répétition syntaxique et phonétique. le prétexte narratif – une histoire de tous les membres d'une famille américaine, inspirée de celle de Stein, débouchant sur un roman national ou même universel – se trouve submergé par les déferlantes de prose répétitive dans un ensemble cependant assez composite.

Cela m'a bien rassérénée : bon, c'est elle qui a fumé la moquette, pas moi. Dans le même article j'apprends avec horreur que l'édition originale de « cet étrange opus, aujourd'hui grand classique du modernisme anglo-saxon, peu lu mais toujours cité comme pièce maîtresse de l'avant-garde du XXe siècle » comportait« 925 pages de 44 lignes, imprimées en caractères très serrés » (mon édition en fait 316). Et j'ai une certaine compréhension pour les éditeurs qui se sont fait tirer l'oreille : terminé en 1911, le livre n'a été publié qu'en 1925.

J'ai courageusement continué mon travail de petite soldate lectrice, engloutie par ce flot d'assertions définitives, car tout bien réfléchi, partant de l'absence totale d'humour de l'auteur, j'y ai vu moi un côté comique, voire absurde qui méritait que le cycle soit bouclé, que cette écriture sans queue ni tête, simplement assujettie à un fil directeur obsessionnel soit réellement saisie comme un tout. A mi-parcours je me suis accordé une petite pause ludique, je me suis mise à compter : Page 180, les mots répétition et répéter apparaissent 12 fois, 9 fois page 181, 14 fois page 182, 7 fois page 183. Pour ne pas céder au désespoir, j'en suis restée là, mais cela pourrait continuer. J'imagine que si j'avais une liseuse, j'aurais une fonction qui me permettrait de trouver le nombre d'occurrence dans l'ensemble du livre ; mon dieu, comme mon refus du progrès humain me prive d'informations passionnantes. !

Mais ne croyez pas que ce texte faussement pensé est incompréhensible – « illisible » - parce qu'il utilise un vocabulaire recherché, un style travaillé. C'est d'une platitude peu commune, les mots, souvent assez imprécis (traduction ?) sont enfilés comme des perles sans aucun souci d'élégance, dans des litanies infatuées d'elles-mêmes, et de la certitude de la compréhension ultime de l'homme, et de l'incroyable capacité d'analyse, que s'attribue Gertrude Stein.

"Ecouter cette répétition qui se complète elle-même jusqu'à la compréhension complète, c'est toute ma vie."

" J‘écrirai un jour un l'histoire de tous, de toutes les catégories possibles d'hommes et de femmes."

Magma à l'illisibilité largement reconnu, Américains d'Amérique ne laisse pas le moindre interstice pour une parcelle de charme, d'humour, de grâce. Il abandonne son sujet pour des discours théoriques abscons et redondants, il assène catégorise et distribue, il m'a laissée sidérée face à une pensée rigide et jamais remise en question, comme un sillon labouré et relabouré, définitivement improductif. Il m'a laissé assez interrogative sur le projet d'un éditeur français de rééditer ce texte en 2018, et qui plus est de le qualifier de roman.

Je suis ressortie de là comme d'une expérience éprouvante, déroutante, à laquelle je pensais finalement pouvoir donner un sens. Mais c'est de la part d'une femme qui ne parle que d'elle-même, une tentative si désespérée de mettre sa soi-disant perspicacité en scène que cela en tourne à un obscur absurde non recherché.
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