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Critique de SZRAMOWO


Frank et Constance Kopp, un Tchèque et une Autrichienne, se sont connus et mariés à New-York. Ils ont eu quatre enfants, Francis, Constance-Amélie, Norma-Charlotte, et Fleurette-Eugénie.
Lorsqu'ils se séparent, Constance et les enfants s'installent dans une ferme près de Paterson, sise Sicomac Road à Wyckoff, New Jersey.
Très rapidement, Francis se marie, avec Bessie, et part s'établir à la ville où il a un emploi sûr.
A la mort de la mère, il propose à ses soeurs de venir vivre avec lui sa femme et ses deux enfants.
Mais, c'est sans compter sur le désir d'indépendance de Constance, l'aînée, la passion de Norma pour les pigeons voyageurs et les faits divers de la presse quotidienne locale, la fantaisie de Fleurette qui pour rien au monde ne quitterait la ferme et ses soeurs.
Le roman commence en 1914, Constance, la narratrice a 35 ans, la guerre a commencé en Europe et, alors qu'elles se rendent en carriole à Paterson, la voiture de Henry Kaufman, de la Kaufman Silk Dyeing Company, un patron local aux meurs de voyou renverse leur carriole.
Très vite, on ressent l'écart qui sépare l'univers des soeurs Kopp et celui des Kaufman. D'un côté le rêve américain échoué dans la misère et de l'autre le rêve américain enflé comme un ballon de baudruche dans sa splendeur de gloire, d'argent, de réussite et de compromissions de toutes sortes.
Les trois soeurs se trouvent plongées dans une mystérieuse affaire de disparitions d'enfants suite à la grève générale dans les usines de soie de Paterson.

L'histoire nous entraîne dans une Amérique en train de se construire, de découvrir les joies du progrès, de la technologie, du commerce libre, de la libre entreprise. Mais, pour la famille Kopp, cette Amérique-là, a quelque chose d'effrayant, qui heurte leur sensibilité d'Européens. Constance Kopp, la mère, veut protéger ses filles des dangers de ce pays :
«Les démarcheurs étaient sales, nous disait-elle. Ils vendaient une marchandise de qualité médiocre qu'aucun magasin n'aurait proposée. Ils jetaient leur dévolu sur les personnes isolées à l'esprit faible. Tout ce qui les intéressait était de pénétrer dans les maisons pour pouvoir revenir les cambrioler ensuite en l'absence de leurs occupants. Et en plus, ils avaient des puces.»

Amy Stewart décrit avec minutie la vie des soeurs Kopp dans cet univers dont personne, surtout pas leur mère, au contraire, ne leur a donné les clefs.
Constance, la sage, Norma la fantasque, Fleurette l'ingénue, s'en sortent comme elles le peuvent.
Seules, dans un univers d'hommes, elles seront contraintes d'affronter Kaufman, car lorsque Constance va porter plainte au bureau du procureur de Hackensack, l'inspecteur Courter l'écoute à peine et elle doit insister pour qu'il enregistre ses doléances :

«— J'en parlerai au procureur, promit-il d'une voix morne.
— Et que devons-nous faire si cet homme revient ? L'inspecteur se tourna vers le shérif Heath, qui contemplait ses pieds.
— N'avez-vous personne pour veiller sur vous ? m'interrogea-t-il alors d'un ton faussement soucieux. Un père, un oncle… ? Ou même un frère ?
L'atmosphère devenait étouffante et je sentis que je ne pourrais rester une minute de plus dans la pièce. Tournant les talons, je sortis sans accorder un coup d'oeil aux deux hommes.»

Le récit est réaliste, il montre comment Constance Kopp va se défaire du modèle de sa mère, à laquelle ses soeurs la compare sans arrêt, pour devenir une femme libre et indépendante.

Pour cela, il alterne les chapitres où l'on voit Constance jeune fille vivant à Brooklyn avec sa mère, autour de 1897, elle a dix-huit ans, et ceux où Constance, à trente-cinq ans, se débat seule pour éduquer ses soeurs, résister aux pressions de son frère francis qui veut la chaperonner, obtenir réparation pour les dégâts causés à sa carriole par Henry Kaufman.
Constance résiste. Elle a décidé de ne pas se laisser faire, ni dicter sa conduite.

Seul le Shérif Robert Heath, va prêter attention à la quête et au combat de constance Kopp.

« — Vous vous en êtes bien sortie, Miss Kopp, répondit-il. Vous avez eu la repartie qu'il fallait. Ils cherchaient juste à savoir si vous étiez de taille à vous défendre seule, et vous leur avez montré que vous l'êtes. »

L'intérêt du roman d'Amy Stewart est de nous montrer comment l'héroïne s'éveille à sa conscience, comment elle passe du camp de ceux qui se résignent, comme sa mère, au camp de ceux qui se battent. Comment elle parvient à se libérer des vieilles contraintes pour faire face au danger qui menace son existence et celle de ses soeurs.

Effectivement, on peut regretter de ne pas trouver, dès les premières lignes, une héroïne «clefs en mains», déjà formatée dans son rôle de justicière, mais ce n'est pas le cas, la lente maturation de la personnalité de Constance nous offre de beaux passages de lecture.

« L'un des étranges effets que nos mésaventures avec Henry Kaufman avaient eus sur nos vies avait été l'abandon total de notre routine quotidienne. »
(…)
« Fleurette convertit le salon en théâtre, avec une scène dissimulée derrière un rideau d'un scandaleux vermillon, trois rangées de fauteuils moelleux et une ingénieuse, mais dangereuse rampe lumineuse constituée de toutes nos vieilles lampes à huile récupérées aux quatre coins de la maison. »
(…)
« Norma était impitoyable sur l'hygiène de ses pigeons, qu'elle tenait très propres, aussi n'y avait-il aucune odeur dans la chambre. En revanche, leurs activités faisaient beaucoup de bruit. »
(…)
« La corvée de vaisselle était elle aussi tombée en désuétude. On ne récurait la marmite que lorsqu'on en avait besoin pour préparer autre chose. Quant aux livres et aux journaux abandonnés au petit bonheur dans la maison, on les ramassait seulement si la surface qu'ils occupaient était requise pour une autre activité. Plus personne ne polissait l'argenterie et, alors que nous avions autrefois un jour de la semaine consacré à aérer les lits, un autre à frotter les sols et un troisième à faire la grande lessive, nous ne consacrions désormais plus aucun moment au ménage. On avait peine à croire qu'un foyer aussi bien ordonné ait pu renoncer ainsi du jour au lendemain à sa routine. En revanche, la comptabilité de la maison avait toujours relevé de ma responsabilité et je continuais à m'en occuper. »
(…)
« Le soir, Fleurette cousait et Norma lisait le journal, tandis que, assise à mon bureau, j'étudiais notre livre de comptes. Henry Kaufman, de son côté, ne donnait plus aucun signe de vie. Manifestement, ce qu'avait fait pour nous le shérif Heath avait porté ses fruits. »

La description de la vie quotidienne des trois soeurs, de la façon dont elle cherchent à oublier le danger omniprésent, tout en vivant avec lui, rappelle l'atmosphère du roman d'Harper Lee, « Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur ».
On semble s'éloigner du sujet principal, mais pour autant on est en plein dedans. C'est cette capacité à vivre malgré le danger qui fera de Constance Kopp l'héroïne qu'elle deviendra.

Par ailleurs, le rythme lent du livre respecte le rythme d'une société où :
l'automobile n'avait pas encore remplacée la charrette à chevaux ;
«Chaque maison avait son allée et son garage, plutôt destiné à une automobile qu'à un attelage, mais en passant dans la rue, je m'aperçus que quelques familles avaient un cheval à l'écurie.» ;
le téléphone ne jouait aucun rôle dans les relations entre les personnes ;
« Il se tourna vers le hall d'entrée et la réceptionniste. — Il faudrait que je lui demande de téléphoner. » ;
la femme était cantonnée à un rôle secondaire ;
« Comment font trois filles, toutes seules dans une ferme ? N'avez-vous pas un oncle ou un cousin pour vous recueillir ? »
(…)
«  Pendant toutes ces années, aucune de vous n'a reçu de demande en mariage ? »
(…)
« — Non, je suis ici pour me faire embaucher, répondis-je.
— Pour vous faire embaucher ? répéta la jeune fille en me dévisageant (…)
— Mais votre mari, il est d'accord ? ajouta-t-elle. »

De ce fait, Constance ne peut s'affranchir en un tournemain, malgré sa volonté inlassable de le faire, des contraintes qui pèsent sur elle et la renvoient à l'éducation qu'elle a reçue de sa mère et surtout au terrible secret qu'elles partage avec Norma et Francis.

« De ma vie entière, je n'avais jamais marché la nuit dans une ville sans être accompagnée. Mais je regrettai aussitôt ma réaction. »

Le récit s'emballe à partir de la page 150 et prend une tournure nouvelle, privilégiant le rôle de Constance et la façon dont évolue la vision qu'ont d'elle les hommes qui l'entourent, le photographe LaMotte, son associé Hopper, et le shérif Heath.

La deuxième partie du roman est l'enquête policière à proprement parler. En se confrontant à Kaufman et à sa bande, Constance Kopp et ses deux soeurs, soulèvent la question de la justice dans la société, de la connivence entre la police, la justice et les décideurs économiques, ceux-ci soient-ils des mafieux.

Le récit ménage de belles surprises et des rebondissements inattendus. Constance doit convaincre Norma et Francis que les trois soeurs peuvent affronter le danger en restant à la ferme. de plus, elle doit gérer la petite dernière Fleurette, qui s'enflamme de l'aventure qu'elles vivent.

Une belle histoire, ancrée dans son époque, qui évoque de façon à la fois réaliste et enjouée, sans complaisance aucune, le combat d'une femme pour faire reconnaître ses capacités à vivre de façon indépendante, à apporter sa contribution à la société.

Le sous titre de la fille au revolver pourrait être : La revanche de Constance-Amélie Kopp.

Un roman comme on voudrait en lire tous les jours.









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