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Critique de candlemas


Avis très partagé sur ces 470 pages écrites par ce grand économiste en 2015.

Ayant aujourd'hui 75 ans, Joseph Stiglitz, prix nobel d'économie,est pourtant non seulement brillant, mais aussi un homme attachant et attaché au bien-être de l'humanité. Il fait référence dans son oeuvre au discours de 1963 de Martin Luther King, et s'est employé tout au long de son oeuvre non seulement à élaborer des théories alternatives crédibles à la divine loi du marché pur et parfait chère à Walras et Pareto, mais aussi à s'engager aux côtés des plus faibles. Ainsi, le modèle néo-keynésien mettant en avant le biais essentiel de l'asymétrie d'information entre les acteurs économiques lui doit beaucoup, de même que Paul Krugman dans son analyse de la constitution des monopoles régnant sur le commerce mondial. Enseignant toujours à l'université de Columbia , il est aussi engagé dans différents pays en développement, à la recherche de modèles de développement alternatifs aux remèdes de cheval du FMI, et en vue d'une régulation de la mondialisation. Joseph Stiglitz allie donc une éthique personnelle et des prises de positions affirmées à une analyse rigoureuse des phénomènes économiques que nous vivions.

C'est pour ces deux raison que j'ai commencé à lire La Grande Fracture, Les sociétés inégalitaires et ce que nous pouvons faire pour les changer, désireux de garder mes distances à la fois vis à vis des raisonnements parfois simplistes des altermondialistes et du vieux fond interventionniste de la bureaucratie française -plus colbertienne et jacobine que keynésienne-, tout en m'éloignant de l'angélisme aveugle et égoïste du dogme libéral dominant.

Je n'ai pas été déçu sur le fond, mais quelle triste erreur de forme ! L'écriture de Stiglitz (merci à Françoise, Lise et Paul Chemla pour la traduction) n'est pas désagréable, mais La grande Fracture est en fait une collection d 'articles, de fond ou plus grand public, sur le sujet en titre, au caractère répétif et très vite lassant. L'effort de classification par thématique, consistant à poser d'abord une vue d'ensemble, puis à expliquer les principales dimensions de l'inégalité, leurs causes et conséquences, avant d'élargir sur la dimension politique et sur les perspectives régionales, n'était pas inintéressante mais s'avère insuffisante. La démonstration de Stiglitz, étayée par des chiffres très parlants, centrée sur les USA mais débordant parfois cette perspective, est très convaincante, mais aurait pu être posée en moins de 100 pages... l'effort de synthèse aurait donc été appréciable ! quel dommage de décourager ainsi le lecteur non passionné d'économie, alors que le point de vue et lea raisonnement, limpides, mériteraient son attention !

L'ouvrage s'ouvre par une analyse fine des graves défaillances du système bancaire américain des années 2000, dont l'absence de régulation encourage les comportements prédateurs sans pénaliser pour autant les acteurs prenant des risques excessifs, couverts par le système. Il se poursuit par un réquisitoire à charge contre les acteurs dominants de ce système, qui en profitent largement, et contre le gouvernement américain qui, lors de la crise de 2007, a sauvé le système existant sans l'assainir, lui permettant de persévérer comme facteur d'instabilité économique encore aujourd'hui. Pour Stiglitz, il fallait sauver les banques, mais pas ses acteurs défaillants. Ce soutien aveugle -encore que cet "aveuglement" soit utilement rapproché de l'observation du système de financement des campagnes électorales américaines, s'est fait au détriment des victimes de la bulle immobilière, ménages pauvres ou middle-class saisies par les banques leur ayant vendu des produits structurés, et s'enfonçant dans une spirale d'appauvrissement, des contribuables et des équilibres budgétaires, saignés en pure perte, l'argent -conformément au principe de compensation des externalités négatives- n'ayant pas ensuite été réutilisé pour des programmes d'action publique dans l'environnement, la santé ou l'éducation, dont Stiglitz estime qu'il sont, à long terme, les vrais vecteurs de croissance économique.

A partir de l'analyse de cette crise, mais en remontant plus loin jusqu'aux années Reagan, Stiglitz emboîte le pas à Piketty pour constater que les inégalités augmentent partout dans le monde, et plus particulièrement aux USA. Utilisant à leur seul profit les manettes du pouvoir, les 1 % les plus riches concentrent toujours plus de richesse sur leur seule tête. Ce faisant, Stiglitz estime qu'ils appauvrissent le pays car cette rente est non productive, cette classe dominante ne portant ni l'innovation ni une consommation dynamisant l'économie réelle. L'absence de redistribution -le système fiscal au niveau nationale, obsolète, ayant cessé de l'encourager depuis des décennies déjà- aboutit à une appauvrissement de fait de la population américaine médiane. La première puissance mondiale est ainsi décrite comme un colosse aux pieds d'argile, prenant appui sur une majorité de ménages très modestes, ou pauvres. En outre, le manque d'investissement dans l'éducation ou la santé grippe également tout ascenseur social : le rêve américain ne devient alors que rhétorique politicienne. le système judiciaire lui-même -à deux vitesses- se trouve touché, et le reste du monde emboîte majoritairement le pas au géant américain.
L'ouverture aux perspectives régionales, logiquement, interroge le "modèle" chinois, et la recherche d'alternatives dans des pays en développement. En conclusion, l'auteur insiste sur le volontarisme politique comme régulateur d'un modèle de croissance économique viable, pour tous.

Une livre aux thèses intéressantes donc, construites avec rigueur et vigueur ; mais à la structure formelle vraiment inadaptée. Dommage...


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