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Critique de Presence


Ce tome fait suite à "D'amour et de mort" (épisodes 1 à 6). Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2014, écrits par Joe Michael Straczynski, dessinés, encrés et mis en couleurs par CP Smith. Matthew Dow Smith dessine 9 pages de l'épisode 12. Ce tome comprend également une dizaine de pages réalisées par Ben Templesmith, réparties sur 3 épisodes. Ce deuxième tome constitue la suite et la fin de l'histoire commencée dans le premier, les 2 formant ainsi une histoire complète.

Joe Fitzgerald est maintenant au Purgatoire, où il s'est lié avec un ange déchu. Il papote tranquillement, l'ange expliquant la chute de certains d'entre d'eux ne pouvant plus rester au Paradis. Alors qu'ils approchent de leur but, c'est-à-dire la porte des Enfers, ils sont attaqués par une horde céleste.

Après cette bataille, Joe Fitzgerald atteint enfin son but et se retrouve face à Frère James, le meurtrier de Laura (sa femme). D'âpres négociations vont débuter, ayant pour enjeu l'âme de Laura, et une nouvelle rébellion.

Lors du tome précédent, JM Straczynski avait dû faire face à un coup dur : la défection de Ben Templesmith au beau milieu de la série. Il ne revient pas ici, il s'agit juste de quelques pages déjà réalisées, avant son départ. C'est donc CP Smith qui réalise la fin du récit, tout à l'infographie. L'une des particularités de ses dessins est qu'il ne recourt pas à des traits pour délimiter les contours ; ceux-ci se devinent par le simple changement de couleur entre 2 surfaces juxtaposées.

Les images de CP Smith sont beaucoup plus propres sur elles que celles de Templesmith, au point d'en devenir inoffensives. Malgré le recours à différentes nuances sur chaque surface, elles présentent un aspect lisse qui neutralise toute sensation de danger, ou d'horreur. Alors même que Smith peut composer un dessin en double page complexe, présentant différents démons des enfers, cette image apparait plus comique qu'impressionnante, avec ces monstruosités dont les malformations semblent relever d'un dessin animé pour enfants.

Durant la majeure partie du récit (environ 60%), Smith a recours à de jolis camaïeux en arrière-plan, en guise de décor. C'est vrai qu'il n'est pas aidé par le scénario de Straczynski qui ne développe pas la nature des enfers, qui ne donne pas d'indication sur sa représentation ou son incarnation. À nouveau ces camaïeux et ces tourbillons de flammes ne permettent pas au lecteur de croire ou de se projeter dans cet environnement infernal.

Ce n'est pas dû à un manque de savoir-faire de CP Smith : son utilisation de l'infographie est inventive et maîtrisée. Mais ces arrière-plans n'apportent pas d'information sur ledit environnement, ne sont pas porteurs de sensations (même pas de chaleur ou de malaise, encore moins de persécution ou de sadisme). Ainsi, avec ces images, CP Smith installe plus une ambiance de comédie, avec léger décalage ironique et parodique, qu'une ambiance de drame. Ce constat est aggravé par la comparaison avec les quelques planches de Ben Templesmith, dans lesquelles l'ambiance devient immédiatement malsaine, avec une manière très personnelle de montrer le malaise intérieur des individus par le biais des effets spéciaux utilisés pour générer les arrières-plans. Même les dessins plus classiques de Matthew Dow Smith (évoquant ceux de Paul Azaceta) dégagent plus de malaise que ceux plus techniques de Smith.

Comme établi dans la première moitié du récit, Straczynski continue de faire évoluer son personnage, dans une opposition simpliste entre le Ciel et l'Enfer, 2 nations dotées de leur armée, en décalage certain avec la foi catholique. Sans surprise, Joe Fitzgerald refuse de se plier aux règles du jeu (= refuse de prendre parti pour l'un ou l'autre). Sans surprise, Fitzgerald dispose d'une intelligence, d'un sens de la répartie, et d'une détermination sans faille, et largement au-dessus de ses opposants, quel que soit leur niveau.

Straczynski utilise le dispositif narratif des cellules de texte pour donner accès au flux de pensées de son personnage. Cela permet d'insérer une tension narrative réelle, en faisant partager les craintes et les risques pris par Fitzgerald. Il poursuit son intrigue sous la forme d'une enquête policière, dans laquelle Fitzgerald doit découvrir le rôle de Frère James, tout en s'interrogeant sur le rôle qu'on lui fait jouer.

D'un côté, Straczynski déroule une intrigue solide, avec de nombreuses surprises et retournements. le lecteur se laisse prendre avec plaisir à ce jeu dangereux dans lequel Joe Fitzgerald a tout à perdre, face à des adversaires d'une envergure qui le dépasse complètement. Il prend également plaisir à voir cet individu (presqu'ordinaire) se confronter à un ordre préétabli et rigide, et refuser de se conformer, refuser les règles qui lui sont imposées. Fitzgerlad gagne même en crédibilité en tant que dur à cuire du fait des maltraitances qu'il est prêt à supporter pour arriver à ses fins.

D'un autre côté, Straczynski continue de mettre en scène des anges prêts à tout pour gagner, à commencer par tuer au mépris des 10 commandements. Il utilise le principe de la rébellion contre l'autorité établie, sans grande surprise. le face-à-face entre Joe Fitzgerald et Frère James se déroule sous la forme d'un long dialogue, peu adapté au média visuel qu'est la bande dessinée. le lecteur se rend compte qu'il est en train de lire une histoire de John Constantine, dans laquelle cet anglais aurait perdu sa morgue et sa rage contre l'establishment et les nantis.

À la fin de la lecture de ce tome, il reste une blague nulle et usée jusqu'à la corde sur le disco, une question très usée sur le nombre d'anges capables de danser sur une tête d'épingle, et une conviction que l'individu peut se sortir du joug de la religion, simplement en observant la réalité autour de lui (ce qui lui prouve indubitablement que Dieu n'existe pas, oui c'est vrai ça peut se discuter, depuis des millénaires même).

Dans l'ensemble (pour les 12 épisodes), "Ten Grand" est une histoire de John Constantine, écrite par Joe Michael Stranczynski. La première moitié bénéficie des illustrations très personnelles de Ben Templesmith qui génère une ambiance unique, conférant une crédibilité au scénario. Dans la deuxième moitié, CP Smith réalise des dessins sophistiqués empreints d'une forme de dérision qui tire l'histoire dans une direction, minant l'impact du récit de Straczynski et faisant apparaître son côté plus ordinaire.
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