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Critique de Lulu_Off_The_Bridge


Que reste-t-il de nos lignées ? Forcées de se croiser le temps de vacances mal arrangées, les femmes de la famille Kelleher se donnent un mal fou pour ne rien se dire. On se cache des choses, chez les Kelleher, aux autres, à soi. On est poli à défaut d'être chaleureux. Quant la doyenne annonce qu'à sa mort, la maison de famille reviendra à l'église du village plutôt qu'à ses enfants, l'équilibre fragile des relations familiales tremble sur ses bases.

Au coeur de ce roman-chorale, une maison de famille, havre et pomme de discorde. Home is where the hurt is, si l'on en croit le proverbe et la sagesse des nations est sauve, une fois de plus. Autour de ce lieu-symbole, métaphore vaguement éculée mais toujours de bon goût de ce qu'est la famille dans la littérature contemporaine (impossible d'y rester, impossible de ne pas y revenir), quatre femmes sur trois générations. Alice, la grand-mère, ancienne beauté qui ne se console pas de pas avoir mené la vie qu'elle pensait mériter et le fait payer à sa descendance. Kathleen, la fille rebelle, alcoolique, pseudo-hippie à la vie chaotique qui revient au bercail à reculons. Maggie, la petite-fille trentenaire, qui se prend crapauds pour des princes charmants et se découvre donc enceinte en même temps que célibataire. Anne-Marie, enfin, la belle-soeur, femme au foyer, bonne épouse, bonne-mère, bonne pièce rapportée qui commence à craquer aux coutures. Il y a bien quelques personnages masculins, qui ne brillent pas particulièrement par leur investissement. En large part parce qu'aucun ne se mesure à la figure fédératrice du pater familias, l'époux, père et grand-père idéalisé, disparu bien avant le début du roman. Recette pour un désastre, évidemment…
Deux points relient ces personnages qui n'ont pas grand-chose en commun, à part une lutte incessante avec la place qui leur a été assignée, par la famille, la société en général, leur propre conditions de femmes. Au coeur de tout cela, la maternité qui ne va pas du tout de soi. Malgré de louables efforts, aucune n'est réellement une « bonne mère ». Parce qu'égoïstes, plus ou moins hystériques, ou simplement terrorisées par l'idée d'échouer. de fait, si l'on considère leurs critères, aucun de leurs rejetons n'est une réussite. On serait tenté de prendre fait et cause, de chercher au moins l'empathie, à défaut de l'identification. le propos doux-amer complique la tâche. Pour ma part, j'exclue Alice, personnage insupportable dont on peine à trouver un trait rédempteur. Kathleen pourrait sembler sympathique mais son égoïsme, sa tendance à brandir un peu facilement la carte de l'alcoolique repentie comme si cela la dédouanait de tout par principe annule progressivement tout élan de sympathie. Maggie est un peu falote, on a du mal à imaginer le type de mère qu'elle va devenir même si elle semble pétrie de bonnes intentions. Reste Anne-Marie, insupportable de prime abord, étouffante, corsetée dans son perfectionnisme. Risible, même, dans son obsession pour les maisons de poupées, métaphore on ne peut plus transparente. C'est pourtant par elle que le déclic se fera. Son évolution est à mon sens la plus intéressante, sans pour autant la rendre attrayante. Pitoyable, éventuellement.
Comme pour tout roman de moeurs familial qui se respecte, le lecteur attend le feu d'artifice, la grande scène du II où les protagonistes se balancent à la figure des vérités biens senties et libératrices qui devraient remettre les pendules à l'heure et générer de nouvelles dynamiques. Or, à défaut de grande flambée cathartique, on assiste à une sorte de feu de broussailles. Non parce que la tension achoppe ou que l'auteur s'y prenne mal, mais parce que personne ne sort vraiment de ses gonds. Les éclats de voix tombent à plat, comme pour dire que c'est déjà trop tard, que rien ne va vraiment changer et que les liens vont continuer de se déliter. Il y a bien quelques sauvetages, mais rien de suffisamment drastique pour inverser la vapeur. Cette « moralité » peu enthousiaste en demi-teinte donne au roman les défauts de ses qualités : on ne prend pas réellement part, on n'est pas emporté, ulcéré ou ravi et c'est un peu gênant si l'on considère que le « roman de génération » doit jouer sur les affects. On peut aussi considérer qu'il s'agit ou devrait s'agir d'une satire. le mordant n'y est pas, pas plus que la profondeur de réflexion. Il s'agit juste d'une famille typique de la Nouvelle-Angleterre, de personnages salement humains, avec leurs élans tièdes et leurs petites mesquineries, qui ne savent que se gêner mutuellement, se scruter sans s'intéresser, et condamner, condamner sans cesse. Ajoutons à cela – et je ne sais pas si c'est un fait de style ou de traduction – une rare platitude dans l'expression. le roman « glisse », se lit vite, certes, mais stylistiquement parlant, il ne se passe pas grand-chose. À l'exception de quelques scènes amusantes, souvent aux dépens d'Anne-Marie, le roman manque d'humour, ou plutôt ne saisit pas les occasions. On se dit que l'auteur ne cherche pas à capter la bienveillance de son lectorat à l'aide des ressorts traditionnels de la compassion ou du rire contre, il déroule son récit d'une petite voix monotone, en retrait. Et de la même façon que le propos manque de force, le discours, la phrase, à trop s'en tenir au report de petits faits, manquent de rythme. Je ne peux m'empêcher de trouver cela dommage, comme si le roman échappait son objectif, à l'instar de ses personnages.
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