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Critique de Jolap


Je me suis interrogée sur l'intérêt de mettre en ligne une énième critique. Aujourd'hui je l'écris. J'ai découvert ce matin une très belle critique de scoubs ce qui a ravivé certains souvenirs.
J'ai lu ce livre à sa sortie il y a une trentaine d'années. Je ne l'ai pas touché depuis. Deux raisons à cela:
Ce livre est le dernier cadeau que m'a fait ma chère maman, décédée peu de temps après. J'ai commencé cette lecture, embourbée dans le chagrin, le doute, la maladie. Patrick Süskind m'a offert une magnifique parenthèse faite d'évasion, et de sérénité. Dans une bulle on est si bien quand les murs se fissurent autour de soi. Jean-Baptiste Grenouille est bien doté d'un pouvoir magique. J'ai pu le vérifier.
La seconde raison pour laquelle je ne le relirai jamais. Simplement parce que je veux garder ce souvenir intact. La surprise ne sera plus jamais aussi vive. J'étais certainement en demande et ce texte a eu sur moi un effet lénifiant parce que je le voulait ainsi. L'auteur m'a raconté une histoire enveloppante parce que j'avais terriblement froid.


Je fais un commentaire au fil de la plume me basant uniquement sur l'image qui me reste de cette histoire riche, dense et originale. Trente ans après les faits, je me présente à la barre.

Jean Baptiste Grenouille naît et vit ses premières heures entouré des déchets de poisson immondes et odorants.
Dès la première page j'étais au parfum! J'ai senti la force de ce personnage qui loin de perdre son équilibre veut survivre, se différencier et tirer parti de cette situation tellement inconfortable et incroyable. Il veut vivre contre vents et marées. Il se renforce à travers cette épreuve de taille et renforce probablement son odorat à cette occasion. Il est prêt à combattre.


Le lecteur est invité à l'accompagner au fil de ses aventures et de ses voyages. Sa situation matérielle est loin d'être brillante. Elle est même précaire. Il survit. Ce n'est pas un problème. Il ferme les yeux et l'image de ce qui lui manque le plus apparaît. Des fauteuils en velours aux assises confortables le comblent lorsqu'il est assis sur une pierre. Et ça marche....Juste parce qu'il a fermé les yeux. le rêve, l'imagination viennent transformer la réalité pour qu'elle soit non seulement acceptable, mais très jolie. Si tout n'était qu'illusion ? Quel ascendant peut avoir le mental sur nos faiblesses ?


Grenouille, tel un compagnon, exerce son talent dans différents lieux. Je me souviens qu'il fait le bonheur d'un parfumeur en fabricant l'élixir le plus merveilleux, le plus remarquable qui ait existé. le parfumeur s'enrichit considérablement tandis que notre pauvre Grenouille reçoit un salaire misérable. Voilà l'imposture, la cupidité soulignées a grands coups de crayon. Grenouille est-il vraiment exploité? est-il pauvre ? le bonheur de créer, de sentir, de se réaliser, d'exister n'est-il pas suffisant à ses yeux ? Une passion épanouie ne vaut-elle pas une charrette de dollars ?


Grenouille assassin ? Et pourtant Il m'a été très sympathique jusqu'à la fin ce drôle de personnage. Il tuait des femmes dont il aimait l'odeur après en avoir tiré la substantive moelle. Les brunes, les rousses, les blondes, personne ne lui résistait. J'ai vécu ces meurtres comme un symbole fort : Il gardait de chacune de ses rencontres, de chaque personne qui l'attirait ce qui lui paraissait essentiel.
Ne pouvons nous aussi garder ce qui s'adapte le mieux à ce que l'on aime? le choix, la bonne couleur, le bon endroit, la bonne tournure, le bon mot. Faire de ce point fort un axe central, un pivot, un cadeau, un diamant. Ce diamant ne se monnaye pas. Il se respecte. Il se contemple. Il se conserve. Garder jalousement ce point fort à l'esprit tout comme Grenouille enferme l'essence de ses conquêtes dans une fiole. Garder ce trésor pour aimer plus, pour aimer mieux, pour aimer durablement. Fermer les yeux sur le reste non pas pour rêver cette fois, mais pour garder le meilleur.

Grenouille ne s'occupe plus de l'enveloppe charnelle, de l'apparence. Il jette tout cela.Il tue ce qui n'est pas si important à ses yeux. Il garde l'essence, l'âme, la personnalité. Il tue ce qui est inaccessible et conserve ce qui est à sa portée. Ce qui le concerne. Ce qu'il maîtrise: l'odeur.


L'auteur m'a embaumé de ces flagrances inouïes et j'ai refermé ce livre rassasiée de belles images en me promettant d'essayer d'être un peu plus forte, un peu plus passionnée, de garder précieusement mes plus beaux souvenirs dans des petites fioles pour ne pas qu'ils s'échappent.


Ce conte peut-être lu de différentes manières et le champ est largement ouvert aux nombreuses interprétations possibles. Grenouille horrible assassin, Grenouille maître nez doté d'un pouvoir magique, Grenouille, errant dans l'ombre, la souffrance, le dénuement, Grenouille le mal aimé......


Je viens d'en ouvrir une petite fiole et l'odeur du livre qu'elle dégage n'a rien perdu de sa force et de son enchantement. Elle est intacte. Je me souviens aujourd'hui à quel point j'avais froid. Et je me suis réchauffée dans les bras d'un assassin.
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