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Critique de Nastasia-B


Avoir du nez, c'est être capable de dénicher la lecture qui nous conviendra le mieux. Force est de constater que sur ce coup-là, je n'ai pas eu le nez creux. Je n'ai jamais réussi à adhérer, à pénétrer dans la fiction, à oublier l'auteur derrière les mots. Il y avait pourtant beaucoup d'indicateurs susceptibles de m'inspirer : un sujet original, une foule de lecteurs éclectiques convaincus, notamment de celles ou de ceux dont je tiens le jugement en haute estime, etc.

Dans sa critique, à laquelle je souscris pleinement, le lecteur Carré s'étonne du contraste entre son propre ressenti à propos de l'oeuvre (plutôt médiocre) comparativement à celui de la très large majorité des critiques sur ce site ou ailleurs (plutôt exceptionnel). Je vais même, une fois n'est pas coutume, le citer :

« je me sens bien seul devant l'avalanche de superlatifs concernant le roman de Suskind. Trop d'odeurs, à friser l'overdose, de descriptions, plutôt de perceptions odoriférantes qui m'ont souvent plus irrité que flatté. Bien sûr, l'écriture est remarquable, l'intrigue oppressante et la chute tout bonnement stupéfiante, mais ce Grenouille n'a jamais ne serait-ce qu'une seconde réussit à me passionner, ni dans sa folie, ni dans sa quête : je suis constamment resté en retrait, avec le sentiment de passer à côté d'une évidence pour de nombreux lecteurs »

Pour ma part, je vais aller encore plus loin que lui. Je tique notamment sur ce qu'il nomme « écriture remarquable » car pour moi, l'écriture de ce roman n'est pas ce que j'appelle " remarquable ", car, si elle eût été telle, elle m'aurait embarquée avec elle et c'est l'enthousiasme au coeur que je vous en parlerais. Or, point de cela. D'ailleurs, ce critique écrit juste après « je suis constamment resté en retrait », bon indicateur, selon moi, que l'écriture n'était justement pas " remarquable ", mais bon, ça c'est une autre affaire.

À ce titre, permettez-moi seulement d'invoquer Mario Vargas Llosa, qui écrit dans Lettres à un jeune romancier : « S'il n'est pas si difficile de parler de la cohésion d'un style, c'est une autre paire de manches d'en expliquer le CARACTÈRE NÉCESSAIRE, indispensable pour rendre convaincant un langage romanesque. La meilleure façon de le décrire est peut-être de recourir à son contraire, le style qui échoue dans le récit d'une histoire en maintenant à distance son lecteur, lucide et conscient de LIRE quelque chose d'étranger, non de vivre et de partager l'histoire avec ses personnages. Il y a échec quand le lecteur sent un abîme, que le romancier ne parvient pas à combler dans son écriture, entre ce qu'il raconte et les mots pour le dire. Cette bifurcation, ce dédoublement entre le langage d'une histoire et l'histoire en elle-même annule le pouvoir de persuasion. le lecteur ne croit pas à ce qu'on lui raconte, parce que la maladresse et l'inadéquation de ce style lui font prendre conscience d'une insurmontable césure entre les mots et les faits, une faille par où passent tout l'artifice et l'arbitraire, ces fondements d'une fiction, seulement effacés ou rendus invisibles dans les oeuvres réussies. »

Voilà, nous y sommes : quand je n'y crois plus, c'est fini, on peut plier les gaules plus rien ne mordra à l'hameçon. Et bien, en ce qui me concerne, c'est très rapidement qu'il y a eu disjonction et donc, cela fit globalement flop ! Alors voici un héros — anti-héros, assurément, tellement assurément que Patrick Süskind s'échine à nous le présenter tel, espérant qu'une petite voix en nous nous soufflera : « Bouh ! C'est un méchant, ce gars-là ! Rien n'est bon en lui. Rien à sauver. »

Nous débutons, donc, avec ce héros, qui, dès le stade nourrisson et dès sa première journée de vie possède déjà des intentions machiavéliques et qui, tenez-vous bien, pleure à dessein pour faire condamner sa mère à mort. Personnellement, j'ai eu beau arpenter à deux reprises les longs couloirs d'une maternité, j'ai le sentiment que ce postulat de départ à propos d'un bébé ne fonctionne pas bien. À vous de voir.

Ensuite sa première nourrice le prend en grippe et devinez pourquoi ? Parce qu'il n'a pas d'odeur. Vous conviendrez qu'en matière de péché capital et de motif d'exécration, on a déjà connu pire, surtout à l'époque où s'ancre la narration : le XVIIIème siècle. Pour ma part, et à l'instar de cet illustre empereur romain, Vespasien, j'aurais tendance à incliner vers la proposition qui affirme que l'argent n'a pas d'odeur, et que, précisément, s'il n'y a pas d'odeur, nul n'aura tendance à refuser de l'argent, d'où qu'il vienne, surtout si l'on en manque, comme cela semble le cas de cette brave nourrice. Deuxième anicroche, en ce qui me concerne, quant au pouvoir de persuasion de l'oeuvre.

Poursuivons : le sort de l'infortuné Grenouille échoira à la très monolithique et très antipathique Mme Gaillard, qui, comme par hasard, a perdu le sens de l'odorat d'un malencontreux coup sur le nez. Elle sera parfaitement inhumaine et glaciale durant toute la jeunesse du héros. Bon, là encore, qu'une femme puisse élever un enfant, même pour de l'argent, pendant une dizaine d'années, sans qu'aucune espèce de relation ne se noue entre eux, désolée Monsieur Süskind, je n'y crois pas : cela ne s'accorde en rien avec ce que je connais de l'humain.

Et puis, Grenouille prend de l'âge, son sens du tarin s'aiguise, se façonne, se développe jusqu'à atteindre des performances que même un ours ou un coati, pourtant figurant parmi les plus fins naseaux qu'on connaisse dans le règne animal, n'arriveraient pas à égaler. Ici, c'est la cohérence proprement biologique qui est mise à mal, mais admettons, admettons, s'il faut admettre, admettons.

Le voilà, ce méchant, méchant Grenouille, qui échoue chez Grimal, un tanneur, puis, par un hasard vraiment hasardeux se retrouve au contact d'un parfumeur, lequel parfumeur, par un autre hasard hasardeux se trouve n'avoir pas de nez, ce qui, pour un parfumeur de cette époque-là, est pour le moins inattendu. Et donc ce parfumeur aux sens altérés trouve le moyen de se faire rétrocéder l'apprenti-tanneur macrosmate. Et bien, croyez-moi si vous voulez, Paf ! Grimal, le patron tanneur prit sa dernière biture le soir même et ne profita jamais de sa jolie plus-value. C'est tout de même pas de bol, convenez-en.

Que dire du parfumeur au nez taquin, Baldini, qui, à l'orée de la fortune et de la gloire remportée grâce aux talents olfactifs du méchant, méchant Grenouille, se fait, Plouf ! emporter sa demeure, Blam ! comme ça, corps et biens, Flouf ! on n'en parlera plus, par un vilain, vilain effondrement de pont sur la Seine. Aïe, aïe, aïe ! Il porte vraiment la poisse ce satané Grenouille, moi je vous le dis !

Mais jouons le jeu jusqu'au bout, laissons à cette écriture l'opportunité de nous séduire et/ou de nous convaincre. Certes, Patrick Süskind a écrit son livre en allemand et il pouvait certes supposer que pour un public germanophone pas nécessairement francophone les jeux de mots malingres et les clins d'oeil appuyés, ça passerait. Certes, certes, mais tout de même, de vous à moi, quand je lis après une réplique du héros " coassa Grenouille ", j'ai envie de refermer le bouquin, car trop, vraiment, c'est trop.

Ensuite, vient l'épineux épisode de la grotte. Certains s'amusent à passer sept ans au Tibet, mais notre Jean-Baptiste Grenouille décide, lui, de passer sept ans dans le Cantal, au creux d'un boyau étroit et sombre comme la mort, dans la solitude minérale la plus totale. Sachant que les sept années en question correspondent à la période de vie du héros allant de 18 à 25 ans, âge où, c'est bien connu, tous les jeunes hommes hétérosexuels torturés d'hormones n'aspirent qu'à vivre reclus dans un étroit boyau de basalte loin de toute espèce de présence féminine ou même seulement humaine. Bon, bon, bon… voilà qui est pour le moins singulier et toujours hautement crédible à mes yeux.

Oups ! J'ai oublié de vous dire ! Savez-vous ce qu'il fait le méchant, méchant héros quand il est encore à Paris et qu'il sent une odeur subtile, délicieuse entre toutes, une senteur comme il en a toujours rêvé ? Eh bien dès qu'il trouve la jeune fille — car la fragrance en question appartient, bien entendu, à une jeune femme, belle et délicate de surcroît, parce qu'une grosse et moche ne peut pas sentir bon, c'est bien connu — dès qu'il trouve la jeune fille, donc, du haut de ses treize/quatorze ans (si j'ai bien compris) que fait-il ? Il la tue, en toute logique, puisque sans quoi il ne serait pas le méchant, méchant Grenouille qu'on attend. CQFD. Alors moi je m'interroge : Pourquoi tuerait-il l'unique porteuse du seul parfum qui le ravit dans tout Paris, lui qui est si sensible aux exhalaisons ? Ça ne me paraît décidément pas tenir debout. Je veux bien beaucoup de choses, mais là, d'après mes concepts, ça cloche, donc impossible pour moi d'adhérer au propos.

Sachez encore, mes bons amis, qu'à ce moment-là, vous n'êtes qu'au début des incohérences crasses auxquelles l'auteur nous soumet (incohérences crasses selon mes critères, cela va sans dire et n'engage bien sûr que moi). Il vous reste à avaler toute la période Grassoise (ville du parfum s'il en est) qui vaut, elle aussi, son pesant de pétales de rose en terme d'aberrations logiques. de sorte que si fable il y eut, si message ou si symbolique il y eut, elles furent totalement évaporées à mes narines par les insuffisances du reste. Bref, c'est un parfum d'échec sans appel qui se dégage en ce qui me concerne à propos du pouvoir de persuasion et de conviction de cette oeuvre sur la lectrice que je suis (et ça n'engage que moi, je le répète).

Toutefois, ce roman présente, selon moi, des qualités indéniables qui n'ont trait ni à l'intrigue, ni aux personnages qui sont tous, selon mes critères, d'épaisses caricatures, ni au style que je qualifierais de capiteux mais plutôt au fond, c'est-à-dire au terreau informatif que recèle l'oeuvre.

Là, j'avoue sans honte que j'ai été captivée par les passages concernant l'extraction des senteurs et les différents procédés utilisés au cours de l'histoire de la parfumerie. L'auteur a l'immense mérite de mettre l'accent sur des pratiques peu connues et, pour la plupart oubliées à l'époque où il écrivait son roman, sachant, au demeurant, qu'il n'y avait pas d'internet à l'époque et qu'il était très difficile pour monsieur ou madame tout-le-monde d'avoir accès à ce genre d'information dans les années 1980.

Donc, si je dois adresser un coup de chapeau au livre, c'est pour cet aspect-là. le reste, ma foi, me laissera un bien piètre souvenir mais, si vous pensez tout le contraire, prenez garde à ce que la moutarde ne vous monte au nez, car cet avis n'est que mon avis, il a le parfum évanescent des choses qui s'oublient, c'est-à-dire vraiment pas grand-chose.
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