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Critique de Lutopie


De l'orgueil.
Les voyages de Gulliver à Lilliput et ailleurs nous amènent à considérer la position d'un voyageur « civilisé » vis à vis d'autres civilisations. Comme dans n'importe quel récit de voyage, qu'il s'agisse de littérature relevant de l'imaginaire ou de littérature plus scientifique,je pense surtout aux écrits des navigateurs qui rapportent leurs expéditions, le voyageur, tel un colon, se pense plus grand que les autres, il se voit comme un géant, comme un dominant. Mais Gulliver se retrouve très vite et en fait, dans le départ, dans la situation inverse, puisqu'il se retrouve dans la position du prisonnier ou de l'invité, en situation donc de subordination vis à vis de ceux qui l'accueillent, qu'ils soient agressifs (ce qui est rare) ou de bons hôtes, tellement bons parfois qu'ils se ruineraient, comme les Lilliputiens, pour satisfaire son appétit d'ogre. Après Lilliput, Gulliver se retrouve dans la position inverse puisqu'il se retrouve rétréci dans un monde de géants. Et c'est là qu'il en prend un coup à son ego, traité qu'il est comme un animal de foire, comme un animal, comme une vulgaire poupée de chiffon, et il se retrouve même maltraité par un singe. En même temps, en plus de traiter de l'orgueil de tout un chacun, Swift nous parle de l'orgueil des nations et se moque allégrement des peuples colonisateurs, européens (l'Angleterre, la France, l'Espagne, et cie), et par la bouche des autres peuples imaginaires, il accuse les Européens de corruption, dans tous les sens du terme. En effet, Gulliver a beau être un hôte bien élevé, dès qu'il parle de son pays, l'Angleterre, il horrifie ses auditeurs qui découvrent que les Européens sont non seulement denués de raison mais pire, de vertu. Et il s'amuse même en insultant les Européens non pas par l'entremise directe de Gulliver mais en donnant la parole à des chevaux bien plus raisonnables que les humains (c'est en tout cas l'avis de Gulliver). À Laputa, où Gulliver découvre une île flottante et un peuple d'intellectuels ou non plutôt de pédants, de rêveurs dépourvus de bon sens, il s'attaque non pas tant à la vertu mais bien plus à la raison et plus précisément à la science. Dans son voyage précédent, déjà, les géants se moquaient de la technologie, de la poudre à canon par exemple, accusant la technologie de servir le chaos et non l'ordre (Gulliver leur ayant parlé de la guerre, se faisait dans sa description enthousiaste de la guerre plus violent que des géants, ce qui n'est pas sans rappeler certains journalistes qui nous décrivent avec emphase les canons Caesar mais passons). Pour en revenir à Laputa, les ingénieurs, les scientifiques et cie, passent leur temps à faire des calculs compliqués et à viser la Lune mais n'ont vraiment pas les pieds sur terre et ce peuple de géomètres et de philosophes sont plus tournés vers le soleil et vers la lune que vers leur île ; et ils ne sont pas sans rappeler eux qui sont censés être des « lumières », au contraire, des obscurantistes, qui passent leur temps à tenter de démontrer des inepties. Ils craignent sans cesse qu'une comète ne détruise leur planète (voir l'expérience récente de la NASA censée nous démontrer la toute-puissance de la technologie et la suprématie de la science), ils sont aussi effrayés par l'idée que le soleil ne brûle leur planète (réchauffement climatique), et ils pratiquent la géo-ingénierie, décidant de provoquer des sécheresses, en privant telle ou telle partie du monde de pluie, pour se défendre de toute sédition et de toute protestation … C'est à se demander où Swift est allé chercher ses idées, là encore ?! Sûrement chez des complotistes de son temps. Chez les Balnibarbes, il a encore toute une réflexion sur l'écologie en opposant deux parties de la population : il y a la majeure partie du peuple qui vit sur une terre stérile, dans des maisons en ruines, et le peuple se retrouve en haillons et il y a une minorité de personnes qui vit dans des maisons plus honorables, entourées de jardins et de terre fertile alors Gulliver demande l'explication et on lui explique que l'innovation, dans ce pays, a engendré des terres stériles et a fait que le savoir-faire s'est perdu, alors qu'une maigre partie de la population, moquée par les autres, s'est au contraire attachée au savoir-faire de leurs ancêtres, aux techniques agricoles anciennes, et a su se préserver du progressisme … Mais on accuse ces derniers de nuire au bien général du pays, bien qu'il s'agisse des rares qui arrivent à nourrir les autres … On voit bien dans ces extraits où se situe Swift dans la « Querelle des Anciens et des Modernes » qui me paraît plus politique que littéraire, in fine … Sa critique de la science, à Laputa, s'attache énormément à la question de l'écologie, comme je le disais et s'intéresse donc aussi à l'alimentation et je dois dire que j'ai bien ri lorsque Gulliver rencontre en visitant l'Académie un microbiologistes qui a pour tâche de, je cite, « reconstituer les éléments des matières ayant servi à l'alimentation, pour les faire retourner à l'état d'aliment ». Cela expliquerait le pourquoi des matières fécales dans l'alimentation (voir l'affaire des tartes au - chocolat – (Veuillez remplacer par le terme adéquat) d'Ikea). Pour aller plus loin, j'ai lu après avoir fini les Voyages de Gulliver, sa Modeste proposition : Pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public et je dois dire que cette modeste proposition, que cette idée-là, est encore plus ignoble que l'idée du microbiologiste mais je n'encourage pas pour autant le microbiologiste à poursuivre ses études.

Mettons fin à mes digressions sur la science et mettons fin aux voyages de Gulliver, en nous arrêtons sur cette dernière recommandation des Houyhnhnms : Que les Européens, etc. et autres superpuissances s'arrêtent un peu de temps en temps et qu'il serait inutile voire dangereux pour les pays visités d'être colonisés par eux et qu'il serait judicieux au contraire de les laisser se faire civiliser, dompter, par les Houyhnhnms. Gulliver est d'accord avec les Houyhnhnms car en présence des Houyhnhnms et de tous ceux qu'il appelle ses « Maîtres » lors de ses voyages, il s'est rendu compte que les Européens, et même par extension, les humains en règle générale, les yahous, sont des êtres tellement imparfaits, tellement monstrueux, qu'il finit par en avoir horreur et devient misanthrope, lui qui a parcouru le monde et rencontré tant de personnes étonnantes … et il finit par se replier sur lui-même, se sentant toujours à la fin, sans doute supérieur à ses semblables ? Ou la raison n'est-elle pas au contraire qu'il a pris une telle leçon d'humilité sur lui-même et sur ses semblables, sur sa nation vis à vis d'autres nations, et même sur son espèce vis à vis d'autres espèces, qu'il se sent trop « yahou » pour pouvoir revenir à la civilisation ? Ce qui explique pourquoi il s'ensauvage, à la fin … Et Swift lui-même après les Voyages de Gulliver, manque de se retrouver cannibale (mais dans l'intérêt de la civilisation là par contre !)
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