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Critique de Tachan


Précédé d'une solide réputation, j'attendais ce titre de pieds fermes, d'autant plus que j'avais été très déçue d'avoir manqué sa sortie aux Etats-Unis et je ne pensais pas le voir arriver un jour chez nous en France. Vous imaginez, un titre de SF des années 70 écrit en plus par une femme ! Il a fallu toute l'audace de Naban pour le voir arriver chez nous et je les en remercie. J'espère maintenant qu'il aura le succès qu'il mérite pour faire un beau pied de nez à ceux qui refuse de sortir des titres vintage quand ce sont des femmes qui les écrivent sous prétexte que ça ne se vendrait pas. Coucou, ça ne se vent pas forcément mieux quand ce sont des hommes aux manettes et pourtant vous les éditez... Passons.

Née en 1950, Keiko Takemiya est célèbre au Japon pour être l'une des membres du Groupe de l'an 24, ces autrices qui ont révolutionné le shojo à l'époque mais pas que. Son plus grand succès est Kaze to ki no uta (La chanson du vent et des arbres) et avec lui, elle a marqué les lecteurs de shojo lors de sa sortie, devenant même un classique du manga qui est à l'origine du sous-genre qu'on appelle le shonen-ai. Au Japon, son travail a été reconnu à plusieurs reprise par des prix prestigieux ainsi que par l'adaptation de Destination Terra en 1980 en film d'animation et en série animée en 2007. En 1980, la mangaka remporte le Prix Shogakukan dans la catégorie shonen pour Destination Terra et Kaze to ki no uta. En 1991, elle reçoit le Prix du ministre de l'Éducation de l'Association des auteurs de bande dessinée japonais. En 2014, elle reçoit la médaille au ruban pourpre pour sa contribution dans le domaine du manga. Il était tant que cette grande autrice arrive chez nous et je suis ravie que ce soit avec une série de SF, moi qui affectionne tant le genre.

Destination Terra, shonen composé de 3 tomes bien épais écrits entre 1977 et 1980, se place dans la lignée des récits de SF de l'époque que l'on retrouve aussi bien en BD, romans, qu'au cinéma. Les fans des histoires de cette époque-là seront ravis d'en découvrir ici une nouvelle. Pour le lecteur actuel, cela fleure bon le passé et une certaine forme de classicisme, mais pour l'époque c'était très novateur et c'est justement pour ça que tant s'en sont inspirés depuis.

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Ce premier tome, lui, s'est révélé être une lecture copieuse, limpide dans ses enjeux au fil des chapitres, mais avec un cadre important à découvrir et une narration parfois un lente, comme ça se faisait à l'époque, qui peut perdre certains lecteurs surtout dans un tome de près de 400 pages. Cependant, les prouesses graphiques de l'autrice confèrent beaucoup de force à ce récit classique et l'univers SF parfaitement maîtrisé fait plaisir à découvrir.

L'histoire démarre dans un univers où les Hommes ont quitté la Terre pour coloniser d'autres planètes. L'espèce humaine s'est désormais installées sur plusieurs bases et seule une partie de son élite triée sur le volet peut retourner sur Terre pour ne pas l'abimer à nouveau. Tout irait donc très bien si l'espèce humaine n'avait pas divergé et créé une autre espèce, les Mu, qui détiennent des pouvoirs psychiques ce qui les a fait exclure et pourchasser par la plus "vieille" partie de l'humanité. de plus, pour pouvoir appartenir à cette élite, il faut non seulement ne pas être reconnu comme divergeant, c'est une évidence, mais également réussir à passer un fameux test à ses 14 ans avec les meilleurs résultats. Or quand notre héros est sur le point de le passer, il se cabre, refusant d'oublier les souvenirs qui sont systématiquement enlevés à ce moment-là. Il est ainsi repéré par les rebelles Mu qui vont l'embarquer dans leur camp où il va faire de sacrées découvertes.

Keiko Takemiya nous offre ici sa vision de la dystopie avec une société parfaite sur le papier, où les bébés sont crées artificiellement avant d'être confiés à des couples choisis, qui n'ont à s'en occupé que jusqu'à 14 ans, puisqu'ensuite ils passent ce test qui les rend "adulte". La société a beau être très codifiée en enlevant certains souvenirs et certaines pensées à ses habitants, elle en fait de parfaits petits citoyens obéissants. Et c'est bien là le problème. Cette société semble dirigée par des intelligences artificielles secrètes qui régentent tout. On se demande bien pourquoi et qui peut être derrière.

Les Mu, eux, sont le peuple de rebelles, celui dont les membres grâce à leurs pouvoirs psychiques savent ce qu'il se passe et refuse d'accepter de vivre dans cette société aseptisée. Même si les hommes ont commis des erreurs et ont fait du mal à la Terre, ils veulent repartir de zéro et refonder une société humaine classique.

Les deux camps sont dirigés par des entités mystérieuses auxquelles les héros de chacune des parties de l'histoire vont se frotter sans le vouloir. Ainsi, malgré un rythme assez lent, nous sommes dans un récit plein d'aventure et surtout plein de réflexions sur le devenir de l'humanité, la procréation assisté, la notion de couple et de famille, la notion de société, etc. On découvre un titre de plus en plus riche au fil des chapitres.

L'autrice prend le temps pour dévoiler son univers et ses héros. La couverture est trompeuse, montrant un héros qui n'en sera pas un, et quand on pense avoir trouvé le bon, on se rend compte 1/ qu'il n'est pas seul, 2/ que c'est plus compliqué que ça. C'est assez fascinant. En revanche, les seconds couteaux sont très effacés. C'est plus la société qui est mise en scène que vraiment des individualités. On a tendance à passer rapidement sur l'un ou sur l'autre à de rares exceptions et un dessin parfois un peu trop similaire et passe-partout pour l'époque n'aide pas à les distinguer et/ou retenir. Mais pour le premier tome de ce récit d'aventure initiatique sur fond de space opera, ce n'est pas trop gênant, on retient bien ceux qui comptent et c'est l'essentiel. En revanche, à part Blue Soldier au début, ils manquent un peu de charisme pour moi pour le moment, faisant trop jeunots. Oui, je sais, on est dans un shonen ^^!

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Contrairement à la narration pour laquelle je suis donc un peu mi-figue mi-raisin, les dessins so années 70 de Keiko Takemiya, eux, m'ont totalement séduite.

J'ai adoré sa représentation des vaisseaux, des villes et lieux futuristes, des personnages aussi qui sont dans le futur mais nous ressemblent encore beaucoup. J'avais vraiment l'impression d'être dans les décors d'une de ces vieilles séries de SF que j'aimais regarder petite. Mais au-delà de ça, j'ai été frappée par la puissance évocatrice de ses planches et son sens du découpage.

Comme avec Riyoko Ikeda, l'autrice joue à fond la carte de la dramaturgie, poussant les sentiments à outrance jusqu'à la rupture littérale de leur personnage à travers les cases et les pages. J'ai adoré la profondeur des noirs, la violence des ruptures, la poésie des volutes. Alors que nous sommes dans un shonen, nous avons tous les codes des shojos vintage que j'aime mais en un peu plus épuré. Très bon mélange.

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La lecture de ce premier tome fut donc prenante, dans tous les sens du terme. J'ai adoré plonger dans cet univers tellement novateur, pour l'époque, et rassurant, pour la moi présente, grâce à tout ce qu'on a pris chez lui ensuite. J'ai adoré découvrir cette société dystopique complexe, mystérieuse et bien sûr déchirée. J'ai surtout était frappée par les compositions graphiques de l'autrice et je suis fan de son trait vintage et tout ce qu'il apporte. J'attends juste que tout ça soit approfondi et notamment qu'elle donne plus de puissance à ses personnages, peut-être avec de nouveaux drames et des interactions entre eux, car ils sont un peu fades et archétypaux pour le moment. Une très très belle découverte pour laquelle je remercie encore Naban tant je n'y croyais plus.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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