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Critique de Alfaric


Comme vous le savez l'intertextualité est mon dada donc je suis obligé d'écrire que tout commence en 1838, quand Edgar Allan Poe surprend tout le monde en publiant "Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket", une histoire inachevée racontant une exploration polaire aux frontières du réel : c'est un choc culturel qui marque Jules Verne, Jorge Luis Borges, Gaston Bachelard et Howard Phillips Lovecraft... Le Maître de Providence qui a révolutionné le genre fantastique reprend et transcende le récit d'origine pour le transposer dans son propre imaginaire horrifique : c'est un nouveau choc culturel qui inspire John W. Campbell, Christian Nyby, John Carpenter et Gô Nagai…
Le récit d'HPL se veut une suite directe de celui d'EAP, mais les variations sur le thème sont désormais tellement nombreuses qu'il faut bien connaître toute les œuvres concernées pour identifier les apports de tel ou tel auteur dans les nouvelles versions de ce qu'il faut bien appeler un Mythe (et ici malgré tous les codes du récit d'exploration à l'ancienne, impossible de ne pas être plonger dans le film d'horreur moderne de John Carpenter) : l'homme qui confronté à l'inconnu se retrouve confronté à lui-même ! Et "Dans les Montagnes hallucinées" c'est loin du soutien et du réconfort de la civilisation qu'en 1931 des pionniers à la fois aventuriers et intellectuels, quelque part les meilleurs des leurs, découvrent dans la douleur que l'homme est immensément loin d'être la mesure de toutes choses, qu'il n'a pas été crée par Dieu à son image et placé au centre d'un univers créé pour son bon plaisir, non face à l'immensité du temps et de l'espace ils ne sont qu'une espèce parmi d'autres et que l'humanité est loin d'être la plus évoluée ou même la plus dangereuse ! A l'image des Martiens de H.G. Wells qui faisaient subir aux Anglais ce que les Anglais avaient fait subir aux Aborigènes d'Océanie, les Choses Très Anciennes d'Antarctique font subir aux Américains que ce que les Américain ont fait subir à leurs découvertes : des tests, des expériences, des dissections et des vivisections... Mais HPL va plus loin encore en s'inspirant du Mythe de Frankenstein avec des êtres antédiluviens à la fois bourreaux et victimes : tout pouvoir rencontre un jour un pouvoir plus grand encore, et en jouant aux apprentis sorciers les Choses Très Anciennes ont donné vie aux créatures qui allaient anéantir leur civilisation toute entière...

Après les médiocres romans graphiques d'Ian Culbard, les mangas de Gou Tanabe sont un véritable retour aux sources du mythe : le Japon est un terre de prédilection pour la culture horrifique, et le mangaka très discret semble s'être spécialisé dans les adaptations de qualité de classiques du genre.
Nous sommes dans l'entre-deux-guerres, et les expéditions se succèdent vers le Pôle Sud pour combler sur le continent blanc les derniers blancs des cartes du monde... Nous suivons celle de l'Université Miskatonic du Massachusetts, financée par la fondation Nathaniel Derby Pickman, quatre professeurs, seize étudiants diplômés, leurs assistants et cinquante cinq chiens qui partent avec deux bateaux et quatre avions. Tout se passe bien, et après avoir établi leur base sur les pentes du volcan Erebus l'équipe du Professeur Lake s'envole pour découvrir un chaîne de montagnes noires, et à l'intérieur des cavernes de celles-ci les reliques de formes de vie inconnues jusqu'à ce jour propres à bouleverser l'Histoire de la Terre ! La découverte aurait eu le même retentissement sur la biologie que les découvertes d'Einstein en avaient eu sur les mathématiques et la physique, si elles ne correspondaient pas à d'inquiétants mythes archéens qui finissent par revenir à la vie...
Le tome 2 de 340 pages est tout aussi fidèle et tout aussi bien dessiné que le premier, et on suit une quête de savoirs blasphématoires : et au-delà des nuages Pabodie et Danforth découvrent sur un haut plateau isolé au centre de l'enfer blanc l'ultime bastion des Choses Très Anciennes… La curiosité est un vilain défaut, mais ils ne peuvent s'empêcher d'explorer les ruines cyclopéennes construites par d'autres mains que celles des hommes. Et c'est en décryptant les bas-reliefs qu'ils découvrent l'Histoire et la Culture d'une civilisations antédiluvienne qui n'a rien d'humaine. Il ne s'agit rien de moins que le Mythe de Cluthue raconté par ceux qu'ils l'ont précédé sur Terre et qui ont assisté à son arrivée : nous assistons à une théomachie/titanomachie prenant la forme d'un affrontement dantesque entre ce qui ressemble fort à une Atlantide et à une Lémurie peuplées de créatures bien éloignés des bipèdes anthropomorphes… Au bout de leur quête ils apprennent et comprennent ce qui est arrivée aux Choses Très Anciennes, sauf qu'il est déjà trop tard : leurs bourreaux qui au-delà de l'espace et du temps sont déjà sur leurs traces ! Ils fuient pour leur vie, et celui des deux qui se retournera pour voir de ses propres yeux l'horreur qui les poursuit ne retrouvera jamais la raison...
Je me répète mais la démonstration est faite : plus que jamais le frisson existentialiste d’H.P. Lovecraft plonge ses racines dans le frisson existentialiste d’H.G. Wells : si dans "La Guerre des mondes" les Martiens faisaient subir aux Anglais que ce que les Anglais faisaient subir aux Tasmaniens, ici les Shoggoths dissèquent les Choses Très Anciennes qui dissèquent les humains qui dissèquent les animaux... Quelle est la distinction entre la recherche scientifique et la brutalité sadique ? L’homme n’est donc plus la mesure de toute chose placé au centre de l’univers par un dieu aimant et protecteur, mais une création comme une autre d’un univers qui se moque bien de lui, insignifiante créature face à l’immensité de l’espace et du temps parcourus par des titans à une échelle qui nous dépasse totalement…
Lien : http://www.portesdumultivers..
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