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Critique de Musa_aka_Cthulie


Je connaissais Pacôme Thiellement par l'entremise de François Angelier, puisque le premier intervient assez régulièrement dans l'émission du second sur France Culture, Mauvais genres. J'ai un temps vaguement suivi ses publications sur Facebook (toujours parce que je suivais la page de François Angelier). Mais, pas plus que ça intéressée par ses réflexions - un tantinet délirantes, mais également drôles - sur l'ésotérisme, les gnostiques et toute cette sorte de choses, je suis à peu près certaine que je n'aurais rien lu de lui si je n'avais regardé le bonus DVD du documentaire David Lynch : The Art Life, qui consiste en un commentaire de Pacôme Thiellement. Si je me voyais passer grandement à côté de ses grandes préoccupations sur l'ésotérisme quand je l'écoutais à la radio, je me suis sentie complètement en adéquation avec Pacôme Thiellement à propos de l'analyse de ce film - que je recommande chaudement aux cinéphiles qui s'intéressent de près à Lynch, soit dit en passant. C'est vrai, j'avoue, il y a une grosse part de narcissisme dans cet intérêt soudain pour quelqu'un qui pense la même chose que vous. Reste que des livres sur David Lynch en français, il n'y en a pas tant que ça. Et Twin Peaks, c'est quand même une série culte qui a changé la donne à la télévision, malgré ses défauts (dont une saison 2 beaucoup trop longue).


Me voilà donc partie dans les méandres de la pensée de Pacôme Thiellement, et de son analyse de Twin Peaks, originellement publiée en 2010, donc bien avant qu'on apprenne qu'une saison 3 allait voir le jour (nous en reparlerons dans la critique de Trois essais sur Twin Peaks). Et j'étais avertie, donc pas de mauvaises surprises. Cela dit, c'est pas évident d'écrire une critique sur un essai très personnel et subjectif. Je ne vais pas me fatiguer à essayer d'expliquer ce que Pacôme Thiellement entend par "la main gauche de David Lynch", parce que son raisonnement tient à beaucoup d'éléments que je résumerais très mal, et qu'il faut tout suivre du début à la fin pour saisir toute la démarche - enfin "toute", c'est beaucoup dire. Disons plutôt que j'ai vaguement saisi l'ensemble de la démarche.


C'est bourré de références à l'ésotérisme, évidemment. C'est bourré de références tout court. De références que le lecteur n'a probablement pas. Donc ça fait beaucoup de choses à ingurgiter en peu de pages. Dans mon cas, je n'ai pas rencontré de grandes difficultés dans le chapitre 1 (oh, la prétentieuse !), que j'ai trouvé très intéressant. Quand je n'avais pas les références cinématographiques nécessaires - car j'ai le regret de dire que je n'ai pas vu, par exemple, le film Laura d'Otto Preminger -, les explications de Pacôme Thiellement sont suffisamment claires pour arriver à suivre son cheminement. Je me suis bien dit, lorsque je suis tombée sur de longs paragraphes consacrés à Dante, que nous allions tout droit vers la digression, mais non, pas du tout ! Ce premier chapitre est une réflexion... comment dire ça... une réflexion sur la façon dont David Lynch a pensé sa série et a pensé son cinéma. Pacôme Thiellement affirme que, loin de ne rien vouloir dire comme l'a longtemps martelé Lynch dans beaucoup d'interviews (alors qu'il a dit à peu près le contraire à propos de Mulholland Drive, mais en précisant qu'il n'avait pas besoin d'expliquer le film parce que les spectateurs le comprenaient très bien, sans toujours s'en rendre compte), Twin Peaks est une série à décrypter, tout comme le film qui a suivi, Fire Walk with me, et comme tout le cinéma de Lynch, en fait (mais ça, tous les habitués de Lynch en sont déjà persuadés, il me semble). Et Pacôme Thiellement nous emmène donc à sa suite sur la "méthode" suivie par David Lynch.


C'est après que ça se complique. Les trois chapitres suivants se basent sur des références ésotériques, et notamment sur la théosophie et sur le New Age, pour poursuivre l'analyse de Twin Peaks, de Fire Walk with me, et du cinéma de Lynch en général. Ce que je reprocherais là à Pacôme Thiellement, c'est de ne pas avoir précisé que l'idée n'est pas sortie toute nue de son cerveau comme la vérité du puits, mais que Mark Frost, l'autre créateur de Twin Peaks - qu'on a un peu tendance à oublier - a dit clairement que l'idée de la Black Lodge lui venait de son intérêt pour les doctrines théosophiques. Il faudra lire L'exégèse de la Black Lodge dans Trois essais sur Twin Peaks pour l'apprendre... Surtout, c'est là qu'on entre dans les méandres de la pensée thiellementiste, qui si, comme je viens de le souligner, ne sont pas dépourvues de fondements, se perdent dans une réflexion très personnelle.


Je ne dirai pas que Pacôme Thiellement ne procède pas avec méthodologie, ce serait lui faire un très mauvais procès. Son raisonnement se suit - assez difficilement parfois, voire souvent, voire très souvent -, mais il se tient selon une logique assumée. Cela dit, il est aussi évident qu'il voit dans David Lynch, et en l'occurrence dans Twin Peaks, l'occasion rêvée d'aller farfouiller dans les recoins cachés de son propre grenier. C'est son grand plaisir, on le sait, et après tout, il en a bien le droit - il faut bien sortir des sentiers battus de temps à autre. Sauf que pour Pacôme Thiellement, ce que j'appelle "hors des sentiers battus", c'est plutôt la route habituelle... Or, est-ce que le cinéma de Lynch et la série Twin Peaks peuvent s'analyser presque uniquement à l'aune d'une thèse fondée sur des références ésotériques ? On aurait presque envie de dire oui, au moins pour Twin Peaks, mais ce serait faire fi de tout le reste, et notamment de l'analyse formelle. Donc à mon sens, c'est non. Mais est-ce que Pacôme Thiellement prétend que son essai explique tout Twin Peaks ? Ben oui, un peu quand même. Et est-ce bien la peine de ramener Lost - cette série devenue affreuse car complètement phagocytée par les appétits de la production et par un scénario sans cesse rafistolé - sur le tapis ? Non, non, non !!! Là, je dis stop !!!


On va entrer là dans le vif du sujet, qui n'est pas à proprement parler le sujet que l'auteur a voulu aborder, mais qui s'est avéré le plus intéressant à mes yeux. Au final, je n'ai pas eu la sensation d'apprendre ici grand-chose sur Twin Peaks, et encore moins sur David Lynch. Sans compter que je ne suis franchement pas sur la même longueur d'ondes que Pacôme concernant l'interprétation de films comme Mulholland Drive ou Inland Empire. Je me suis en fait rendu compte à la lecture de cet essai, que je reposais régulièrement quelques temps pour réfléchir, voire rêvasser, que c'était la démarche de Pacôme Thiellement qui m'incitait à me poser des questions. Car qu'est-ce qu'un essai ? Comment l'écrire ? Comment se tenir à une thèse qu'on a en tête, mais qu'on n'a pas encore défrichée tant qu'on n'est pas parvenu au bout du bout ? Tous ceux qui ont eu à écrire des mémoires, même de vingt pages, des thèses de doctorat, des textes pour des conférences, des essais pour des raisons professionnelles ou pour le plaisir (oui, oui, il y a des gens qui écrivent des essais pour le plaisir), se sont trouvés un jour confrontés à ces problèmes. Est-ce qu'il faut rechercher à tout prix l'objectivité (d'un point de vue strictement scientifique, la réponse est oui) ? Mais est-ce qu'il ne faut pas laisser aussi parler son imagination, y compris - et peut-être surtout - dans une discipline comme la physique ? Quelle est la part de la subjectivité, et comment la canaliser sans l'asphyxier ? Je pense que La main gauche de David Lynch peut amener à réfléchir sérieusement à ce genre de questions.


Bon, et sinon, lire les mots "épiphanisation" et "subséquemment" toutes les deux pages, c'est quand même un rien pénible.
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