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Critique de delivronsnous


« Je n'ai pas le temps ! », pour moi, pour finir mon travail, pour profiter de mes hobbies, pour développer ma passion, etc. Nous avons tous entendu cette phrase prononcée dans un lassant soupir. Et nous l'avons tous aussi proféré.

Pourtant, nous nous interrogeons assez peu sur l'origine même du découpage de nos journées et sur la séparation entre nos tâches professionnelles et personnelles. Ce séquençage temporel n'est pas inné ni tombé du ciel. le temps est le fruit d'un phénomène social, et donc, politique.

Le texte publié par les éditions La Fabrique est initialement paru sous le format d'un article dans la revue d'histoire britannique Past and Present en 1967. Edward P. Thompson, spécialiste de l'histoire sociale du Royaume-Uni, explore la période de transition vers le capitalisme industriel d'un point de vue inédit pour l'époque. L'auteur s'attache a étudier et comprendre le nouveau cadre horaire imposé afin de rationaliser la production et discipliner la nouvelle main d'oeuvre du monde industriel naissant.

En effet, le travail à l'époque moderne est caractérisé par une irrégularité : le temps est alors « orienté par la tâche » [p.37], surtout pour les travailleurs dit indépendants. D'ailleurs, le terme « journée de travail » est assez peu approprié : selon les activités, la perception du temps « est conditionné[e] par les différentes situations de travail et leur rapport aux rythmes naturels » [p.36]. Les marins organisent leurs activités en fonction des marées, les paysans en fonction des cycles saisonniers. Les travailleurs ont souvent des activités mixtes, et il n'est pas rare de voir des ouvriers domestiques se rendre dans les champs au moment des moissons.

La mise en place du capitalisme industriel s'accompagne d'une nouvelle organisation du travail. le précepte de Benjamin Franklin selon lequel « le temps, c'est de l'argent » irrigue les nouveaux industriels anglais : il s'agit de mettre fin à l'oisiveté, aux temps morts présents dans une journée ; place donc à la rationalisation. La coercition est alors importante : inculquer une nouvelle culture de travail, non plus basée sur le travail de « tâche », mais sur une unité de temps, n'est pas chose aisée. Les résistances existent, en témoigne la férocité des moralisateurs et des industriels pour appliquer la discipline du présentéisme et de la ponctualité (à titre d'exemple, les Fonderies Crowley élaborent un règlement de 100 000 mots destiné uniquement au contrôle des ouvriers.)

On ne trouve pourtant pas chez Thompson une forme de nostalgie mystificatrice lorsqu'il évoque l'organisation de la vie dans les sociétés pré-industrielles. le travail des enfants, l'exploitation de certains travailleurs ou encore la double journée des femmes existent, et sont bien la cause de multiples souffrances.

L'article-ouvrage de Thompson est stimulant, grâce notamment à la documentation explorée et présentée dans le livre – journaux intimes, chansons, poèmes, cultures folkloriques, règlements intérieurs d'usines, etc. L'enseignement principal à tirer de ce livre, au regard du rapport de domination sur la nécessité de synchroniser et de discipliner la main d'oeuvre, se trouve être d'ordre politique. L'organisation du temps de la vie est une question commune qu'il est tout à fait possible (nécessaire même) de saisir. Elle ne peut seulement se résumer à la vision des employeurs ou des théoriciens économiques (néo)libéraux.
Lien : https://delivronsnous.home.b..
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