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Critique de berni_29


Ils sont nés dans les années quarante et cinquante, ils sont frères et soeurs au nombre de huit, nés de l'union d'un père cherokee et d'une mère blanche. L'une des enfants, la sixième, née dans une baignoire, Betty, va devenir leur porte-parole, c'est la narratrice de cette histoire rude, âpre, bouleversante, belle dans toutes ses dimensions...
Nous sommes ici dans l'État de l'Ohio, un territoire du sud des États-Unis d'Amérique, là où souvent, et peut-être encore maintenant, la différence sonne hélas comme une note discordante...
Betty, celle que son père, Landon Carpenter, nomme la Petite Indienne, sa différence est là, marquée par son physique typé et son caractère qui ne lâche rien... Elle est, elle-même, différente parmi ses frères et soeurs, visage sombre, cheveux noirs, alors que ses soeurs sont blondes, ont la peau blanche, et du reste, au sein du cercle familial, cette différence s'exprime aussi parfois par quelques taquines rebuffades mais jamais méchantes...
Betty a neuf ans quand elle découvre le monde tel qu'il est, brutal, injuste, dévastateur, mais ô combien empli de portes secrètes qui invitent à d'échappées sauvages et enivrantes.
Parfois, on voudrait dire aux enfants de ne pas grandir trop vite, mais ici l'existence se moque bien des charmes de l'innocence qu'on peut prêter volontiers à l'enfance... Pourtant, la magie de ce roman et la force presque chamanique du personnage de Betty réveillent des torrents d'enchantement comme pour mieux résister au malheur qui guette à chaque détour du chemin de la vie...
Nous découvrons cette famille, celle des Carpenter, qui s'installe dans la petite ville de Breathed, après des années nomades qu'on imagine déjà douloureuse à cause de leur différence. Et dans cette errance, dans cette douleur déjà perceptible, nous voyons aussi se dessiner une autre errance, une autre douleur, celle de la mère, son attitude parfois surprenantes, ses blessures peut-être, son histoire forcément... L'endroit où la famille se pose enfin ressemble à un havre de paix, les paysages alentours sont luxuriants, la faune et la flore semblent en totale harmonie avec cette famille atypique... S'agissant des voisins, de l'accueil des enfants à l'école, en particulier de Betty, c'est une autre histoire...
Au travers des sept cents pages de ce récit, j'ai été emporté par la traversée de cette famille, traversée géographique, émotionnelle, intemporelle presque, vers un pays éloigné qui n'est plus le leur depuis longtemps.
Ce livre m'a permis de découvrir aussi que dans la société cherokee les femmes étaient égales aux hommes.
C'est un roman bouleversant raconté à la manière d'un conte par Tiffany McDaniel, dont le titre est le prénom de sa propre mère, le récit s'inspire de la vie de celle-ci. C'est un de ces livres que je ne serai pas prêt d'oublier. Une histoire belle et noire comme la vie, avec des jours mouillés de larmes, des orages qui rugissent dans le coeur des personnages, un texte dont chaque page semble scintiller comme les fragments d'un kaléidoscope.
Ce livre est un chant.
Je m'étais dit qu'il me serait difficile d'écrire quelque chose sur ce roman d'une ampleur vertigineuse. Vertige... Je comprends désormais ce que ce mot veut dire dans toute sa splendeur... Un gouffre abyssal qui s'ouvre parmi d'autres mots, entre terre et ciel, entre désirs et douleurs...
Betty, c'est l'enfance qui devient une blessure, une peur, une fuite dans le ciel étoilé...
Betty, ce sont les interstices d'une vie qui se dessinent à même la peau, rien n'est jamais lisse, ni les tâtonnements, ni les rêves, ni les illusions...
Mais Betty, c'est aussi avancer secrètement en s'inventant des lianes et des ailes pour échapper à sa condition d'oiseau meurtri qui ne renonce jamais...
J'ai adoré ce roman, j'ai ressenti avec compassion les blessures infligées aux uns et aux autres des enfants de ce récit...
Ici, chaque enfant porte son histoire. Ces enfants qui envient même les chauves-souris d'avoir des ailes...
Et le père est là, mais le père ! Quel personnage merveilleux, fantastique ! Toujours présent, proche de Betty, sans doute il y a une ressemblance physique et psychologique entre ses deux personnages fusionnels. Car ce père puise dans son héritage cherokee pour inventer, réinventer un monde protégeant les siens face à la méchanceté des autres. Il n'est jamais dans la haine, il n'est jamais dans la révolte, il n'est jamais dans la défaite, il n'est jamais dans la culpabilisation et je me suis demandé où cet homme puisait cette force inouïe, cette joie immense, cette harmonie avec la terre et le ciel, avec les animaux et les étoiles. Il semble tout connaître de la nature et de ses secrets... Betty sera longtemps bercée par les moments oniriques qu'il convoque à chaque instant de leurs relations. C'est un jardinier, c'est un conteur, un compteur d'étoiles aussi, ce père qui savait le nombre d'étoiles qu'il y avait dans le ciel la nuit où chacun de ses enfants étaient nés. C'est un guérisseur, c'est un bâtisseur, c'est un homme qui aime et sait protéger les siens avec des murailles auréolées de rêves...
Pour Betty il faut affronter le monde des adultes, parfois de manière frontale, parfois par des pas de côté... J'ai adoré ce geste magnifique qu'elle a, celui d'enfouir des mots dans des bocaux en verre, eux-mêmes enterrés pour les protéger du malheur du monde. C'est peut-être cela le début d'une écriture, un geste de survie, une manière de transmettre quelque chose plus tard à construire, après elle, au cas où... Oui, au cas où, car le récit montre que chaque jour qui passe est une menace, un risque, pour chaque membre de la famille...
Les soeurs aussi s'écrivent des "bonnes nuits" qu'elles gardent précieusement pour les soirs de cafard, tandis que l'un des frères, lui, dessine merveilleusement. Chacun s'invente un monde hors de celui qui voudrait les broyer...
Betty témoigne ici, dans un discours à la voix intime, de sa singularité, et c'est sans doute la puissance de ce récit qui devient dès lors universel.
Comme j'ai aimé cette question posée par une des soeurs, se demandant s'ils ne vivent pas une malédiction, lorsque le malheur semble se répéter comme un bégaiement horrible ! Comme j'ai aimé la réponse du père de Betty renvoyant sans cesse les événements à la force de la vie, l'élan qui pousse à ne jamais revenir en arrière ! On voudrait taire à jamais cette simple idée de malédiction.
Les phrases de ce livre parlent comme des coups de poing au ventre. Je pense à ces ailes que l'on promet parfois innocemment pour apprendre à voler plus haut...
C'est pour moi un livre d'amour.
Ô Betty, réponds-moi, pourquoi dit-on parfois que tous les commencements sont beaux... ?
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