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Critique de Bouteyalamer


Cet objet littéraire se présente comme un journal dont la mise en page isole des récits, des poèmes, et contient de nombreuses illustrations photographiques, anciennes ou volontairement floues, grises, décentrées, portant leur propre témoignage ou un message subliminaire. La confidence se veut continue, ponctuée de points-virgules, de tirets et de points d'interrogation, sans majuscule ni point pour encadrer les phrases. Les récits ont une marge différente et une typographie standard. Les poèmes sont isolés par une mise en page centrée, leur ponctuation se limite aux virgules, les majuscules y soulignent des mots, les idées se signalent par de riches métaphores et des enjambements :
« et cette enveloppe que nous appelons Corps
que nous revêtons, soignons et vénérons, n'est rien qu'une
cristallisation de liens qui peuvent
dans l'exil, la vieillesse ou l'accident
se dissoudre »

Quant au contenu, l'auteur nous dit en post-scriptum que « l'essentiel tourne autour de ce que j'y ai compris du suicide, de ce que le suicide m'a offert comme matière à penser », et il cite Durkheim et Camus. Lointaines références, car on y trouve surtout une méditation sur la culpabilité. Culpabilité personnelle de Thésée, le frère restant, dont l'ainé s'est suicidé après une généalogie de suicides et de morts prématurées, remords d'avoir cru le frère quand il a promis de ne pas se tuer, honte de la fuite en Allemagne, refuge ambigu après la Shoah, doute sur l'éducation de ses propres enfants. Culpabilité par procuration surtout, liée au déni familial des racines juives, du mariage chrétien des « chers petits parents » qui ont abandonné les deux frères pour mener une brillante carrière, leur aveuglement par « la vie moderne », leur culpabilité politique dans « le capitalisme à visage humain ». Toute cette culpabilité se paye par la peur, une extrême solitude, une hypocondrie ciblant le solide — les os et les dents —, l'abandon à la surconsommation médicale, puis aux guérisseurs, la dépression paralysante. On trouve une excursion aventureuse vers l'épigénétique dans le texte à propos de Caenorhabditis elegans, reprise avec solennité en post-scriptum : « … nous pouvons nous poser cette question, utile je crois aux refondations qu'il nous faut accomplir :
que sait la matière que nous ne savons pas encore,
que nous échouons à porter jusqu'au langage ?
Ce qui découle de cette question est, il me semble, un puissant torrent capable d'emporter bien d'anciennes certitudes et des cadres épuisés. Car où s'arrête la responsabilité d'un État ou d'une entreprise si nos corps portent les traces des violences subies sur plusieurs générations ? »

Deuil, souffrance, recherche obsessionnelle d'une responsabilité reviennent envahir le journal, souvent dans les mêmes termes :
« qui commet le meurtre d'un homme qui se tue ? »
On ne peut douter un instant de la sincérité de l'auteur. le lecteur est concerné par sa confession, ou pas.

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