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Critique de hervethro


Nouvelle Orléans, années 50. Une Amérique profonde, pas au sens d'élévation culturelle ou artistique, mais bien profonde comme un gouffre dans tout ce qu'une nation peut proposer de bassesse et de vulgarité.
Faisons la connaissance de Ignatius Reilly, sorte de Pantagruel moderne, affublé de toutes les tares : obèse sirotant et grignotant sans arrêt, entretenant avec sa mère des rapports conflictuels qui auraient enchanté le docteur Freud, rechignant à trouver un boulot à l'âge respectable de 30 ans et quand il en décroche un, harcelé par sa pov' môman, c'est pour semer le chaos le plus complet, d'abord en tant qu'archiviste dans une fabrique de pantalons sur le déclin où l'on va croiser une vieille dame au rebut et un couple, les Levy (ça ne s'invente pas !), se déchirant eux aussi à qui mieux mieux. Il finit bien entendu par se faire lourder pour se retrouver vendeur de Hot Dogs affublé d'un déguisement de pirate à deux cents. Ignatius entretient une correspondance acharnée avec une amie (ex amante ?) où chacun prend plaisir à s'envoyer des insultes récurrentes. On pourrait du reste penser qu'Ignatius est un brin masochiste : s'il ne manque jamais une séance de cinéma, c'est pour mieux critiquer le jeu des actrices, la mise en scène poussive, les décors immondes et, d'après sa propre philosophie, les idées nauséabondes véhiculées sur grand écran.
Suit alors une galerie de personnages tous plus savoureux les uns que les autres.
Un policier, trop gentil pour arrêter des suspects, dont sa hiérarchie l'affuble de déguisements divers jusqu'à ce qu'il ramène un prévenu. Cela aboutira à un beau coup de filet, au-delà de tous les espoirs.
Un cabaret où se trafiquent de drôles de commerces, à commencer par une écervelée désirant proposer un numéro de strip-tease avec un partenaire plutôt extravagant, une patronne qui cache bien son jeu, sans oublier le noir de service, sous payé pour passer un coup de balai (nous sommes dans le sud) et constamment entouré d'un nuage de sa propre éructation fumeuse.
Et tout ce petit monde s'entrecroise dans un ballet iconoclaste, aux accents sudistes. Une jubilation à tous les instants et à tous les niveaux. Présenté comme roman humoristique, je suis aux regrets de vous dire qu'on ne se tord pas en deux. Je parlerais plus volontiers de cocasserie, une loufoquerie allant jusqu'à l'absurdité.
Pourtant, comme sous les pavés la plage, sous ce vernis grossier, voici qu'une certaine philosophie se dégage. Et celui qu'on prenait pour un rebut de l'humanité se révèle pétri de perspicacité. Ignatius, ce degré zéro de toute compassion, est le seul de tout le roman à s'exprimer correctement – c'est du reste le seul reproche que l'on peut faire à la patte de Toole : voulant faire couleur locale, les dialogues des personnages sont quasiment incompréhensibles , à la façon qu'ont certains auteurs d'écrire en langage sms ou en verlan pour « faire banlieue » et on frémit à l'idée d'aborder cette « conjuration » en langue originale.
Ca ferait un joli film. Si le second roman de Toole fut porté à l'écran, en revanche pas d'adaptation pour cette foisonnante chronique. On aurait aimé que les frères Cohen s'y mettent !
Reste une énigme. Quel est donc cet anneau pylorique dont Ignatius souffre intensément ? Google renvoie systématiquement au roman. Un désordre stomacal, comme si ce brillant individu sous des dehors grossiers ne pouvait digérer le monde dans lequel il vit et que, pour parvenir à surmonter cette vie sans but, il devait se fondre dans la masse des imbéciles en devenant ce personnage grossier et imbuvable.

Après ce joli coup de maitre, on serait tenté de poursuivre cette oeuvre. Peine perdue. J.K. Toole écrit son roman probablement au début des années 60. Les renvois systématiques du manuscrit le persuade qu'il n'a aucun talent et il se suicide en 1969. Sa mère, plus persévérante, mettra dix ans à faire accepter le roman par un éditeur. Il recevra le prix Pulitzer en 1981.
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