AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de fanfanouche24


**Découverte de cet écrivain dans les années 80--Relecture août 2019

Un recueil de nouvelles lu il y a fort longtemps... je viens de le relire,
l'empruntant à la médiathèque, pour le faire lire auparavant à un ami
lisboète, pour lui faire découvrir cet écrivain-compatriote, écrivain et
médecin sous le régime de Salazar...

Un recueil exceptionnellement consacré aux petites gens de la ville, alors
qu' habituellement, Torga décrit les paysans, les gens de la terre et des
montagnes... Comme le titre l'indique nous sommes immergés dans
les "Rues" de la cité...La couverture de l'édition de 1988 des éditions
du Tout sur le Tout est dans un accord absolu avec le contenu de ces
nouvelles. Très belle photographie en noir et blanc qui couvre les deux plats,représentant un homme,marchant tête baissée au milieu d'une rue pavée, les rails du tramway, bien apparentes; sur le second plat, une gamine est sur le seuil d'une porte, regardant la "Rue"...

Une petite parenthèse pour présenter cet écrivain -poète..Fils de paysans pauvres, Miguel Torga (1907-1995), de son vrai nom Adolfo Rocha – il a choisi Miguel pour Cervantes, et Torga comme la bruyère sauvage –,
passe par le séminaire, seul lieu d'études possible pour un fils de paysan et,
à l'âge de 13 ans, part pour le Brésil, où il sera garçon de ferme.Revenu au Portugal, Miguel Torga s'inscrit en médecine . Une fois diplômé, il exerce dans les campagnes et observe ses compatriotes ...Il est mal vu par les notables , et les autres médecins, issus de milieux aisés...

Il sera emprisonné, censuré, interdit de publication... Il finira par éditer ses textes à son propre compte....Pour nous, en France, cela sera l'éditeur d'origine corse; José Corti,qui nous le fera découvrir; le fera traduire par Claire Cayron et l'éditera !

Miguel Torga s'est beaucoup inspiré de ses patients, ouvriers, vignerons, paysans, des humbles qu'il a soignés toute sa vie... le quotidien, les attentes, rêves déçus des "vaincus" de la vie !!
Des textes , comme tout recueil de nouvelles avec des densités inégales...
Des récits toujours sensibles... je crois que l'un de mes préférés est celui qui clôt le volume , "Pension centrale"... totalement bouleversante sous une trame apparemment anodine ....

Une veuve , Dona Teresa, tient près de la gare une pension de famille, avec l'aide d'un homme à tout faire , Belmiro, et "rabatteur" de clients , à la gare. Il revient un soir avec un client des plus bizarres, qui ne fait rien comme les autres, impose ses horaires, ses manies..; au grand dam de Dona Teresa..Car cet original va faire fuir les autres pensionnaires, qui le prennent pour un fou; de plus, il ne fait aucun effort pour entrer en contact avec ses congénères !

"- Et alors, qu'est-ce qu'elle vous fait, ma vie ?
-C'est qu'elle cause beaucoup de dérangement...Vous voyez bien que si les clients ne se lèvent pas à la bonne heure, ne mangent pas à la bonne heure ...
(...)
Mais pour quelle raison les horaires des autres seraient-ils meilleurs que les miens ?
-Monsieur Macedo, pour l'amour du ciel ! Quelqu'un qui déjeune à quatre heures et demie de l'après-midi et qui dîne à onze heures du soir !...
-Et alors quoi ?
- Alors c'est pas comme tout le monde...Les autres vivent le jour et dorment la nuit...Tandis que vous...
- (...) Mais je vous le demande: vous êtes-vous déjà promenée par les rues le matin de bonne heure ?
-Je suis une honnête femme, Monsieur Macedo !
-Donc, c'est non. Alors partez du principe que jusqu'à ce jour vous avez été enterrée vivante et occupée à nettoyer les murs de votre tombe. (...)
-Et c'est dommage, parce que la ville a des aspects bien curieux.
Quand vous le pourrez, une fois le travail fini, au lieu d'aller vous coucher, montez par une ruelle qui prend un peu plus haut, au coin de la rue, et ouvrez les yeux. Juste au bout il y a une grande bâtisse toute illuminée.
C'est la Maternité. Appuyez-vous aux grilles d'un petit jardin qui est juste en face , et attendez une petite demi-heure. C'est merveilleux ! Au début on n'entend qu'un silence complet, qui prépare l'esprit . Puis, ce
sont des cris aigus et désespérés qui semblent trouer le ciel. Ne vous inquiétez pas. Enfin on l'entend. C'est un vagissement plein de fraîcheur, cristallin, qui vous entre dans le coeur comme une caresse. Vous n'imaginez pas la fraîcheur qui émane du premier cri d'un enfant, tombant comme une rosée sur la solitude nocturne ! Il faut l'avoir entendu pour savoir ce que c'est... (p. 127)

Mais il y a également -"La Leonor Bourlinguée" : Une vieille marchande des quatre saisons intrigue par son surnom qui fait rêver; une de ses camarades, plus jeune,travaillant comme boulangère, Julia, insiste pour connaître l'origine de ce surnom si évocateur d'une vie aventureuse... mais quelle ne sera pas sa surprise attristée de découvrir la vie de misère de cette vieille femme, entre le Brésil et son Portugal natal !!

"La Lettre" : histoire d'un facteur compatissant envers une jeune fille aux amours contrariés, guettant les missives de son amoureux...

"Les époux Estrella" : Estrella, la soixantaine passée, le barbier du quartier meurt subitement, son épouse le suivant de peu dans la mort. L'occasion pour les voisins d'évoquer ce couple uni, et leur unique escapade mémorable de trois journées dans la "Grande Lisbonne" !

"Cette douleur-là" : un Portugais après avoir bourlingué, vécu en Amérique, fait les 400 coups au temps de la prohibition, revient au pays, retrouvant une épouse aigrie et maussade. Cet homme meurt avec la seule lumière de son existence de migrant et de baroudeur: une "fille à lui", cachée, laissée en Amérique....

"Le bon Texeira": Monsieur Texeira, un épicier qui a créé sa boutique, vécu pour elle, sans se marier, se trouve alité pendant six mois. Remplacé par son employé, il est contraint à la réclusion dans sa maison, afin de se soigner ! Il est enfin autorisé à sortir de chez lui; la destination de cette première sortie ne peut être que son magasin. Il arrive, mais son employé ne semble pas très content de le voir, ayant pris "possession" mentalement
du petit commerce de son patron ...Désormais, il est de trop...

"Triste journée": La journée d'un médecin de famille, bouleversé par l'agonie d'un pauvre cordonnier, et d'autres misères ! Un début de rayon de lumière, croit-il, avec une jeune accouchée... mais il apprend qu'elle est seule, son compagnon et le père du nouveau-né étant décédé brutalement, peu avant. Décidément "Une triste journée" !

"La retraite" : un vieux policier doit prendre sa retraite après toute une carrière de bons et loyaux services, mais au lieu d'être joyeux, libéré, il se sent dépossédé de sa raison de vivre... Il se sent perdu, comme devenu subitement invisible !

"Musique !" : un jeune organiste ne vit que pour sa musique qu'il joue à
l'église; un jour son chemin croise croise celui d'une très jolie jeune femme, venant régulièrement se recueillir, seule ; il en tombe éperdument amoureux... jusqu'au choc de l'annonce publique de son mariage ! l'organiste sera au désespoir...La musique ne lui sera plus d'aucun secours !...

Chroniques douces-amères, et parfois tragiques de la vie citadine des "classes laborieuses"...avec le regard bienveillant, compatissant du médecin-poète !!

Un auteur dont j'aime depuis longtemps et toujours autant, après relecture... le style, la sensibilité, le Regard !... Je suis d'autant plus "fière" de l'avoir fait découvrir à cet ami lusitanien !!!




***La première édition portugaise de "Rua" date de 1942. La présente traduction a été faite à partir de la cinquième édition (1985)


Voir : https://www.telerama.fr/livre/trois-raisons-de-%28re%29lire...-miguel-torga,-le-medecin-poete,n5623993.php



Commenter  J’apprécie          340



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}