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Critique de LaBiblidOnee


Haïti, sous la seconde occupation. La ville de Port-au-Prince se découpe en deux parties : La partie basse abrite une population locale paupérisée par les guerres ; et plus on remonte la ville, plus on se dirige vers les beaux quartiers accueillant les dignitaires, diplomates, ONG. le narrateur appartient à une bande de cinq gamins de la rue de l'enterrement, partie basse de la ville. Grâce aux bourses, ils atteindrons pourtant les milieux universitaires intermédiaires, qui les aideront à subsister à leur besoins, et leur donnera envie d'aider les jeunes défavorisés du quartier.


Pour arrondir les fins de mois, l'une des cinq travaille au nouveau bar à la mode : le Kannjawou, lien entre ces deux mondes opposés. Kannjawou désigne les grandes fêtes de villages qui, autrefois, rythmaient la vie des populations locales. Situé à la croisée des chemins, ce bar attire autant les dignitaires étrangers à la recherche de pittoresque, que les populations plus pauvres fascinées par l'ennemi : « les bottes » ; l'occupant.
Le mercredi soir, le temps d'une trêve tacite, tous font la fête au même endroit - mais sans vraiment se mélanger. Les dignitaires aiment se faire valoir entre eux ; la bande des cinq aime les observer, cherchant un sens à ces futilités dans un monde dont ils ont été dépossédés. Si leur pays ne leur appartient plus, et qu'on ne leur permet pas de se l'approprier, leur avenir leur appartient-il encore ?


Le narrateur nous raconte alors la vie de son quartier et de ses habitants, enfant ou adultes, enfants devenant adultes, enfant avec des responsabilités et des préoccupations d'adultes… Un quartier qui, se relevant à peine du souvenir de la première occupation, subit la seconde comme une injustice. Quelques-uns se rebellent mollement contre elle, par quelques tours amusants joués à l'envahisseurs ; Quelques autres lutteront à l'échelle humaine, par la socialisation et l'éducation.


Un roman non-dénué d'intérêt mais surtout d'humanité, de celle que l'on côtoie dans la misère. Quelques moments et anecdotes truculents (mention spéciale au mort-vivant en ce qui me concerne, ou à la balade au coeur du vent, mais peut-être lui préfèrerez-vous le pipi de chat…) nous sont livrés, presque murmurés. Car ce n'est pas un livre qui fait grand bruit, vous n'y trouverez pas de grand héros ni de grands éclats. Vous ramasserez plutôt, avec l'auteur, les miettes d'un quotidien difficile dont on s'accommode pour avancer, parce qu'on n'a pas d'autre choix. Un récit fait de petits riens, dans lequel il ne faut pas chercher une grande épopée romanesque, sous peine d'être déçu, comme l'a été Célestine qui me l'a fait découvrir. Plutôt une sorte de poésie qui adoucit le quotidien, au risque de lire l'aventure en apesanteur, avec cette sensation de simplement survoler la dure réalité, comme dans un rêve. Une sensation ouateuse, comme une gueule de bois un lendemain de kannjawou, qui lui ôte peut-être un peu de réalisme, de profondeur.


« Une histoire sans fin et toujours changeante que j'intitule Kannjawou. (…) C'est une histoire de partout. On y voit des humains (…). Les cimetières, toujours, deviennent des jardins. (…) toutes les frontières sont ouvertes à qui les passe les mains ouvertes et le coeur sur la main. Et tout finit par une grande fête qui a beaucoup de noms. Ici, nous l'appelons Kannjawou. Et défilent les personnages. (…) Avec suffisamment de bonheur pour que chacun puisse dire à l'autre, du bonheur j'en ai suffisamment pour deux. Alors tiens. Si t'en veux, je t'en donne. »


Par son récit - et de manière paradoxale - le narrateur a simplement à coeur de faire exister ces personnages réels qui ont vécus avec lui, mais qui ne semblaient pas exister pour le reste du monde et, en particulier, pour l'occupant. Ce texte est sa résistance. Un hommage à son « petit professeur » avec qui il avait compris que « Nous sommes tous dans les livres, comme les preuves que les personnages qu'on y trouve existent vraiment. » Alors il a écrit un livre sur eux. Pour les faire exister. Pour leur prouver - et peut-être se prouver - qu'ils existent pour de vrai, qu'ils existent pour lui. Que leurs vies comptent. Car on ne peut pas bâtir un avenir sur du vent.


« Les mois ont passé. Les choses et les personnes ont continué à glisser, qui dans le vrai, qui dans le faux. Je reprends ce journal qui ne mène nulle part. Parfois la vie ne bouge qu'à l'intérieur des mots. »
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