Tout d'abord je tiens à remercier vivement Price Minister et son opération « Matches de la rentrée littéraire », ainsi que les Editions Gallimard qui m'ont permis de lire ce roman
C'est le premier roman de
Karine Tuil et je suis sous le charme. Cette histoire est très forte, tous les personnages ont été étudiés dans le détail : leurs qualités, leurs défauts, leur zones d'ombre, leurs fragilités….Je me suis attachée à chacun d'eux.
Elle décrit très bien ces soldats qui reviennent de la guerre (quand ils reviennent) avec un syndrome de stress post traumatique, comme Romain, qu'ils ont tendance à ne pas vouloir reconnaître, le déni permettant de rester un soldat qui ne se plaint pas, fait son devoir et refuse toute aide car ce serait de la faiblesse, avec de surcroît, la culpabilité du survivant.
Marion, la journaliste, qui a suivi ce groupe de soldats, a participé au stage de décompression sur une île grecque, comme si passer de l'horreur des bombes, des attentats-suicide, à une île paradisiaque avec tout le confort pouvait les aider en seulement quelques jours. Pour que l'Etat se donne bonne conscience.
Karine Tuil raconte aussi comment deux tragédies peuvent s'interpénétrer et donner une attirance violente entre deux êtres que tout oppose mais qui oublient tout dans le sexe, chacun s'étant, à sa façon éloigné, de son époux légitime : comment reprendre la vie quotidienne avec sa femme quand on revient de l'enfer et qu'on se réveille en hurlant parce qu'on a fait un cauchemar en relation avec la guerre. Une reprise du train-train quotidien est-elle possible.
Il y a plusieurs tragédies dans ce livre, Marion a épousé François Vély, un homme d'affaire en vue, dont l'ex-femme s'est suicidée en apprenant son remariage, dont la vie parfaitement millimétrée dérape lorsqu'il pose assis sur une oeuvre d'art représentant une femme noire, dans une position de soumission, et se fait traiter de raciste sur les réseaux sociaux et se retrouve taxé de Juif alors que son père, déporté, avait fait changer son nom après la guerre. Il a une mère catholique, a été élevé dans la laïcité…
Un autre personnage attachant : Osman Diboula, éducateur qui s'est retrouvé attaché de cabinet à l'Elysée car il a joué un rôle lors des émeutes de 2005. Osman est Noir, on imagine comment son statut a pu provoquer des remous parmi certains des jeunes qu'il côtoyait à ce moment-là.
L'auteur égratigne au passage la « discrimination positive » pour montrer qu'on peut venir de la banlieue et accéder à de hautes fonctions, et dissèque les états d'âme, le ressenti de ces hommes qui accèdent au pouvoir et à l'ivresse qu'il leur confère, mais peuvent tout perdre parce qu'ils se sont rebiffer à la suite d'une remarque désobligeante. Doit-on en faire encore plus quand on est Noir, qu'on n'a pas fait d'études supérieures et qu'on est sur un siège éjectable en permanence ?
Je pourrais parler de ce roman pendant des heures car tout m'a plu, l'histoire, les vies bouleversées, les souffrances, la situation politique interne et extérieure, la guerre, les otages, la dérive de certains jeunes de banlieue vers la radicalisation, car ils cherchent autre chose pour donner un sens à leur vie et ne se rendent plus compte de ce qui est bien et ce qui est mal.
L'auteure ne caricature pas, elle décrit sans jugement, de façon parfois lapidaire, égratignant les médias, les réseaux sociaux au passage et pose une question importante : peut-on échapper à ses origines, à sa condition sociale ? Mais aussi, à la conséquence de ses actes, n'est-on pas toujours rattrapé par son passé ? (Cf. la loi de causalité dans le bouddhisme).
Et de manière sous-jacente : qu'est ce qui fait notre identité, vous savez ce terme que les politiques conjuguent en l'affublant d'un adjectif : « identité nationale ». On a déjà du mal à se trouver une identité au niveau familial, en se dépêtrant au mieux de l'héritage parental, de l'éducation, il faut maintenant qu'elle soit nationale… on peut lire cette phrase forte : « Il y a quelque chose de très malsain qui est en train de se produire dans notre société, tout est vu à travers le prisme identitaire. On est assigné à ses origines quoi qu'on fasse. Essaye de sortir de ce schéma-là et on dira de toi que tu renies ce que tu es ; assume-le et on te reprochera ta grégarité. »
Karine Tuil nous dresse, au passage, un tableau de la société actuelle et elle a su créer des personnages attachants pour l'illustrer cette société, lui donner vie. Elle a pris soin de se documenter, car les scenarii de vie sont vraiment captivants. 525 pages que j'ai lues de façon addictive, tant l'écriture est rythmée, le style percutant. C'est le livre que je préfère de cette rentrée mais je n'en ai pas lu beaucoup, car depuis deux ans, les livres de la rentrée littéraires me tentent…
Note : 9/10
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