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Critique de jlvlivres


« L'Ivrogne dans la brousse » de Amos Tutuola, écrivain yoruba du Nigéria donc, et traduit par Raymond Queneau (excusez du peu) dans la collection du monde entier (1953, Gallimard, 198 p.), et réédité récemment (2000, L'Imaginaire, 136 p.)
Cela commence, presque, comme un roman de Gérard Oberlé « Je me soûlais au vin de palme depuis l'âge de dix ans. Je n'avais rien eu d'autre à faire dans la vie que de boire du vin de palme ». Il est vrai que les 560 000 palmiers de la plantation du narrateur lui fournissent quotidiennement plus de deux cents calebasses de vin de palme. de quoi boire raisonnablement, jusqu'à plus soif et jusqu'au jour où son «malafoutier» se tue en tombant d'un arbre. Tout a une fin donc, même l'homme qui préparait le vin de palme. le narrateur, qui se nomme lui-même «Père-Des-Dieux-Qui-Peut-Tout-Faire-En-Ce-Monde», va donc aller chercher son malafoutier dans « la Ville-Des-Morts » où les défunts marchent à reculons, « la Ville-Céleste-D'où-L'on-Ne-Revient-Pas » et « le Monde des Êtres Étrangers et Terribles », donc la Brousse. « En voyant que je n'ai plus de vin de palme et que personne ne pouvait en tirer pour moi, je pense alors en moi-même à ce que disaient les anciens, que les gens qui sont morts sur cette terre ne vont pas au ciel directement, mais qu'ils habitent dans un endroit quelque part sur cette terre ». On comprend mieux que le grand Raymond ait eu envie de nous transmettre ce texte « Doukiboidonctan ».
Toute la suite est de la même calebasse. « Au bout de trois années et demie passées dans cette ville, je remarque que le pouce de la main gauche de ma femme enflait comme si ç'avait été une bouée, mais ça ne lui faisait pas mal. Un jour, elle me suit à la plantation où je tirais mon vin de palme, et, à ma grande surprise, elle se pique le pouce qui enflait à une épine de palmier, le pouce se déchire soudain, alors voilà un enfant mâle qui en sort, et, à peine sorti du pouce, l'enfant commence à parler comme s'il avait dix années d'âge. ». Une autre pour la route. « En arrivant à l'endroit où il avait loué son pied gauche, il tire dessus et l'enlève, il le rend à son propriétaire et le paie, et ils se remettent en route ». (C'était mon introduction à l'économie du troc en Afrique Noire). Avant les soldes, j'ai aussi un chapitre « Un gentleman complet réduit à une tête ».
On est donc dans un roman où se mêlent à la fois l'Odysée, avec cette quête dans « le Monde des Êtres Étrangers et Terribles », le rapt de Perséphone par Hadès dans la avec l'enlèvement d'une jeune fille par le gentleman. Ce n'est plus l'Hydre de Lerne, mais les Mille et Une Nuits. En fait on est (peut être) dans l'univers des contes yorubas. Ce n'est plus non plus « Tintin au Congo », mais en quelque sorte « Homère au Nigéria ». le tout est écrit dans une syntaxe fort approximative, qui n'est même pas du « broken english » comme on pu l'écrire certains critiques britanniques, mais plutôt « simply and carefully described in young English » (simplement et soigneusement décrit en anglais infantil) ou même qualifié de « néo-anglais ». Queneau lui-même reconnait avoir eu du fil à retordre avec la traduction « J'ai dû résister à la tentation de rationaliser un récit dont les "inconséquences" et les "contradictions" se glissent parfois dans la structure même des phrases ». de toutes évidences, les premières critiques sont partagées au sujet de l'oeuvre. On traite le livre de « primitive », « primeval », « naïve », « un-willed », « lazy », « barbaric » ou « barbarous ». Il est amusant de noter que ces mêmes critiques utilisent un procédé similaire pour juger de l'écriture de Tutuola.
C'est cette conception de la langue qui est intéressante chez Amos Tutuola. Et il l'explique dans un interview à West Africa (11/08/97, p.1299). « I don't want the past to die. I don't want our culture to vanish. It's not good. We are losing [our customs and traditions] now, but I'm still trying to bring them into memory. So far as I don't want our culture to fade away. I don't mind about English grammar – I should feel free to write my story. I have not given my manuscript to anyone who knows grammar to edit.» (Je ne veux pas que le passé meure. Je ne veux pas que notre culture disparaisse. Ce n'est pas bon. Nous perdons [nos us et traditions] actuellement, mais j'essaye de les garder en mémoire. Aussi, j ne veux pas que notre culture s'évanouisse. Que m'importe ma grammaire anglaise – Je voudrais être libre d'écrire mon histoire. Je n'ai jamais donné mon manuscrit à quelqu'un pour en éditer la grammaire.). Ce que veux dire Amos Tutuola, c'est qu'il ne veux pas écrire comme un auteur américain ou anglais. Il utilise l'anglais comme un outil, mais le message ce sont les textes qu'il transmet.
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