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Critique de Nastasia-B


Iouri Tynianov nous donne avec ce gros volume un très intéressant éclairage sur la dernière année de vie du poète et diplomate Alexandre Griboïedov. Nous sommes donc à cheval sur les années 1828 et 1829.

Sujet très intéressant car nous évoluons au confluent de la littérature, de l'histoire et de la géopolitique. L'auteur a le talent de faire revivre des époques, des préoccupations et des moeurs révolues.

En qualité de diplomate, Griboïedov a passé plusieurs années en Perse (Iran actuel) et dans le Caucase, notamment en Géorgie. Lorsque le roman historique commence, Alexandre Griboïedov est de retour en Russie, tout auréolé d'un traité avantageux pour son pays dont il est le principal artisan de la signature.

L'auteur nous fait vivre le décalage que vit Griboïedov entre la vie âpre et la poussière des contrées du sud et le tourbillon mondain, cette immense mascarade en uniforme brillant que représente la vie de la haute aristocratie tant moscovite que pétersbourgeoise.

Tynianov s'appuie en cela sur de nombreuses sources historiques mais aussi et je dirais peut-être — surtout — sur la pièce que nous a légué Griboïedov, la seule pièce qu'il ait eu le temps d'écrire avant sa mort prématurée, du Malheur D'Avoir Trop D'Esprit, qui traite justement de l'amertume du retour.

Iouri Tynianov nous fait parfaitement sentir ce mélange de sourire et de haine qui anime ceux qui, dans le proche entourage du tzar, accueillent le diplomate victorieux. En effet, voici quelqu'un qu'il faut récompenser, qu'il faut honorer pour sa belle réussite inespérée dans la signature d'un traité très avantageux pour la Russie impériale. Mais dans le même temps, voici quelqu'un qui va prendre du galon, donc devenir gênant, donc qui risque de prendre la place de ceux qui l'accueillent, et donc, quelqu'un qu'il faut salir et à qui il faut nuire absolument.

D'ailleurs, le tzar lui-même n'a pas oublié (et auquel cas, il se trouverait toujours quelqu'un pour le lui rappeler) qu'Alexandre Griboïedov était très lié à beaucoup de ceux qui en décembre 1825 ont fomenté la tentative de coup d'état contre l'autorité du tzar afin de lui faire accepter une constitution.

En somme, il faut donc récompenser Griboïedov, sans le récompenser. On le nomme donc ministre plénipotentiaire (wouah ! pas mal ! se dit-il) en Perse (hooww, c'est nul ! se dit-il). Car il faut savoir que les relations avec la Perse sont plus que tendues et que nos amis les Anglais font tout ce qui est en leur pouvoir pour pourrir encore l'ambiance car eux sont implantés sur l'autre frontière persane avec leur colonie d'Inde.

C'est donc en traînant les pieds, presque à reculons, que Griboïedov se rend en Perse, allongeant au passage démesurément son séjour à Tbilissi où il se sent mieux et où il épouse Nina.

La situation est tendue en Perse parce que le traité signé en 1828 prévoit que le Shah verse de fortes sommes d'argent à la Russie, tendue aussi parce que cette dernière montre clairement à la vieille monarchie du Shah combien la Perse et faible est démunie face au grand frère russe.

Il est alors d'autant plus aisé pour les Anglais, en sous-main, de faire sentir l'iniquité du traité et la dangerosité d'une confiance aveugle accordée à la Russie, lancée dans une politique d'expansion, hier en Perse, aujourd'hui face aux Ottomans et qui s'arrêtera Dieu sait où. (Alors que les Anglais, eux, pas du tout, vu qu'ils avaient un tout petit riquiqui empire colonial à l'époque !) Mais bon, voilà, c'est ça la diplomatie, chacun tire la couverture à soi en faisant croire que le méchant c'est l'autre.

En persan, " ministre plénipotentiaire " se disait " Vazir-Moukhtar ". Voici donc élucidé le titre assez scabreux de l'ouvrage. Je vous laisse découvrir les raisons précises de la mort du Vazir-Moukhtar, raisons d'ailleurs tout à fait connues et accessibles car historiques. Cette mort n'est d'ailleurs sans doute pas étrangère à la création quelques années plus tard du babisme en Iran.

On peut dire que Iouri Tynianov réussit l'exercice de faire connaître et de réhabiliter un poète russe, contemporain et ami de Pouchkine, assez peu connu en France, tout en apportant un important éclairage tant sur la vie aristocratique russe des années 1820-30 (post campagne napoléonienne de Russie avec une Moscou reconstruite) que sur la vie encore bien moins connue de la Géorgie et de l'Iran d'alors.

Il y a un vrai effort documentaire et, plus que tout, un effort pour rendre vivant et crédible « l'esprit » d'alors. En somme, un très bon livre, intéressant et dépaysant, que je n'élève pas au rang de mes chef-d'oeuvres préférés, mais qui procure de bonnes heures de lecture. Mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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