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Critique de Kirzy


L'exploration des malédictions et bénédictions d'une enfance façonnée par des parents défaillants est une thématique littéraire archi ruminée, et pourtant ce premier roman vibrant parvient à faire entendre sa voix singulière.

Le choix du premier chapitre est surprenant. Sur une île fictive au large de la côté Sud californienne, une baleine est échouée, coincée dans une baie en demi-lune sans parvenir à dériver au-delà du récif. L'odeur est inéluctable, un défi alors qu'Evie, chercheuse à l'Institut de la mer, prépare son mariage, que le futur marié a disparu en mer dans une tempête et que sa mère apparaît après trois ans d'absence comme mue par un sixième sens de sorcière. Cette baleine devient une obsession, une fixation quasi totemique pour éviter de penser aux aspects les plus difficiles de sa vie.

S'en suis un puzzle impressionniste qui navigue au gré des flux et reflux de la mémoire, explorant l'enfance tout en ponctué de visions du futur. Ce rejet d'un scénario linéaire pourrait n'être qu'un gadget stylistique. Cela ne l'est jamais car cette construction elliptique, tournoyant entre passé, présent et futur, souligne magnifiquement à quel point la vie n'est jamais une ligne droite. Comme si nous n'étions qu'un patchwork de morceaux d'un passé qui laisse une empreinte résonnante sur ce que nous sommes aujourd'hui.

Malgré quelques longueurs et redondances sur la solitude et le doute de soi, Crissy van Meter a un vrai talent pour flouter la nostalgie et dire à travers le personnage d'Evie comment la condition humaine nous fait naviguer entre douleur, chagrin et joie. Elle saisit l'urgence émotionnelle d'un passé très présent. Evie, son père junkie cultivateur de marijuana, un charme exceptionnel, lui qui l'a élevé dans une vie instable au jour le jour ; sa mère si étouffante qui l'a abandonnée . Evie et ses déficits émotionnels qu'elle expose lucidement, sans apitoiement ni mièvrerie.

Tout interroge sur ce que cela signifie d'accepter les liens avec des parents qui finissent toujours par vous décevoir, de faire la paix avec eux et avec son propre désir de les aimer malgré tout. le roman est porté par la plume très poétique qui joue à fond la carte de la métaphore organique, notamment dans de surprenants passages interstitiels qui basculent le récit de la première au la deuxième personne. Dans ses courts chapitres portant le nom d'une créature marine sous forme de questions-réponses ( comme « quelle baleine possède le coeur le plus grand du règne animal ? » ), le lecteur plonge dans la psyché profonde d'Evie. Ces passages sont d'une beauté stupéfiante et bouleversent.

« Ton père t'expliquera que tes côtes sont les mêmes que celles d'une baleine. Une cage osseuse circulaire, blanche et fragile, à laquelle sont suspendus tous les mouvements de ton corps. C'est à elle que tient ton coeur, dira t-il, et il posera la main sur le haut de son torse en comptant les battements avec un amusant bruit de percussion fredonné entre ses lèvres. Ecoute-le, même s'il s'arrête de battre.
La première fois qu'il t'explique tout cela, tu es trop jeune ; tu te roules dans le sable, tu crois encore dur comme fer que ton corps est fait d'eau de mer, et que de minuscules créatures habitent à l'intérieur de ta cage thoracique. Comment pourrais-tu savoir qu'il est en train de t'expliquer où se trouve l'amour ? (…)
Ton père te manquera cruellement, comme tout ce qu'il laisse derrière lui, et même une partie de ce qui te reviendra. Tu t'allongeras sur le dos, les yeux tournés vers le ciel, à compter tes propres côtes humaines du bout des doigts, jusqu'à ce qu'une marée soulève ta poitrine, jusqu'à ce que, comme il répétait toujours, il ne soit jamais parti ».

Un premier roman vivant et empathique, avec une âme à l'intérieur et une pincée de magie.

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée


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