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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Alliance contre nature (épisodes 24 à 31). Il comprend les épisodes 32 à 36, initialement parus en 2005, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés par Goran Sudzuka (épisodes 32 à 35) et Pia Guerra (épisode 36), encrés par José Marzan, mis en couleurs par Zylonol Studios, avec des couvertures de Massimo Carnevale.

Épisodes 32 à 35 - Yorick, le docteur Allison Mann et Agent 355 se sont embarqués sur un navire baptisé "The Whale" pour rallier la ville de Yokogata au Japon. Yorick s'est introduit comme passager clandestin dans une caisse de fret. Il est bien vite découvert et conduit dans la cabine du capitaine Kilina qui porte un sabre de pirate à sa ceinture. Contre toute attente, elle l'accueille à son bord à bras ouvert en proposant de garder sa présence un secret, en le faisant séjourner dans sa cabine. le docteur Mann fait office de médecin de bord et l'agent 355 découvre bientôt une pirate à bord : Rose Copen. En outre "The Whale" est pris en chasse par un autre bâtiment naval sous la responsabilité du capitaine Belleville.

Le mouvement amorcé dans les 2 chapitres précédents se confirme : Vaughan fait repasser l'intrigue et l'aventure au premier plan, les réflexions sur la société et son clivage masculin / féminin passent au second plan. Il est donc question d'une croisière avec une cargaison qui attire bien des convoitises, avec un combat naval à la clef. Il y quelques coups de poings d'échangés, quelques coups de feu de tirés, une torpille d'envoyée. Sans phagocyter tout le récit, l'action est bien présente, et insuffle un rythme soutenu au récit, sans temps mort. Même quand l'agent 355 se met à tricoter, ce n'est que pour mieux réfléchir. Vaughan s'amuse à insérer quelques éléments de piraterie, à la fois romanesque (un bandeau noir, un sabre d'abordage), à la fois moderne (l'arraisonnement pour le pillage).

Vaughan ne s'en tient pas à la seule intrigue : il poursuit la peinture du portrait psychologique des personnages, et il aborde 2 questions sociétales, sans oublier les références à une forme de sous-culture, ou tout du moins de culture de type populaire. Pour cette dernière, il fait appel à des références qui ne sont pas forcément à la portée de tous les lecteurs. Il y a d'abord l'origine du nom du bateau (The whale) qui renvoie à un roman de Kurt Vonnegut de 1959 : Les sirènes de titan (1959). Il y a également un DVD déniché dans la collection du capitaien Kilina : la dernière corvée avec Jack Nicholson (1973).

Pour ce qui est des personnages, le lecteur continue de mieux faire connaissance avec le docteur Mann, cette fois-ci en tant que médecin au service des membres de l'équipage, avec l'agent 355 qui éprouve des sentiments (si, c'est possible), et avec Yorick qui commence à douter que l'amitié homme / femme puisse être platonique. le portrait dressé pour Kilina est plein d'ambigüités et de contradictions qui en font un personnage immédiatement attachant du fait de son sourire et de son énergie, mais aussi dérangeant (pour des raisons à découvrir à la lecture). Et Vaughan n'oublie par de faire respirer son récit à l'aide de petites touches d'humour, à commencer par la présence d'une femelle singe capucin, prénommée Bonny qui ne porte pas de couches.

Du point de vue sociétal, Vaughan s'en tient à 2 composantes majeures. Il a déjà évoqué la première précédemment : le mal n'est pas l'apanage des hommes. D'un coté c'est une approche assez primaire avec un code moral basique et une transgression indiscutable. de l'autre, c'est un constat courageux que de prendre position sur le fait que les actes criminels n'ont pas de raison de cesser avec la disparition des mâles de l'espèce humaine. le deuxième questionnement sociétal a plus rapport avec la conviction de la fin de l'humanité, faute de mâles pour assurer la reproduction, et le besoin de béquilles permettant de supporter cette souffrance psychologique. Ce thème est l'occasion pour Vaughan de revenir à la question de la survie de la société, et aux échappatoires.

Ces épisodes sont dessinés par un nouvel artiste sur la série : Goran Sudzuka qui a également travaillé avec Douglas Rushkoff pour Adolescent Demo Division et Jamie Delano pour Outlaw Nation. Comme pour les épisodes dessinés par Goran Parlov (Stop/encore), l'apparence des dessins est inchangée par rapport à ceux de Guerra. Il y a fort à parier que José Marzan est pour beaucoup dans cette uniformité de surface, et qu'une partie de la fadeur des dessins peut lui être imputée. le lecteur pourra toutefois se délecter de la chevelure magnifique de Kilina dont le volume et les mouvements peuvent faire penser à la chevelure des héroïnes dessinées par John Buscema, à commencer par Bêlit. Pour le reste Sudzuka se calque sur le style de Guerra, de la mise en page (4 ou 5 cases rectangulaires sagement accolées), à la densité des décors (suffisants pour que le lecteur puisse voir l'environnement sans jamais donner dans le démonstratif, ou que l'arrière plan donne lieu à un beau tableau, ou supplante les personnages). le lecteur pourra quand même apprécier un sens développé de la profondeur de champ, et un refus de réduire les personnages féminins (c'est-à-dire tous sauf Yorick) à des objets sexuels.

Ces épisodes constituent une bonne aventure, avec de nombreux rebondissements et des personnages attachants. Par rapport à la production mensuelle de comics, elle mérite 5 étoiles, comparée aux débuts de la série, elle n'en mérite que 4.

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Épisode 36 - Cet épisode est consacré à Beth Deville, prisonnière d'aborigènes en Australie, à la genèse et au développement de sa relation avec Yorick.

Brian K. Vaughan a à coeur de montrer le point de vue de chacun de ses personnages, y compris ceux dont l'influence se fait sentir en leur absence. Sur 22 pages, les scènes au temps présent en occupent 4, le reste étant un montage de plusieurs scènes du passé, réordonnée (= dans un savant désordre chronologique) pour mieux faire ressortir les points de contact thématiques. En focalisant cet épisode sur la relation unissant Beth et Yorick, Vaughan se montre plus malin que précédemment. le lecteur n'en ressort pas avec l'impression de rester sur sa faim quant à l'histoire personnelle de Beth, mais au contraire avec le sentiment d'avoir appréhendé ou touché du doigt le sentiment amoureux qui les unit.

Pia Guerra effectue son retour, après quelques épisodes d'absence, avec un style inchangé. Elle dessine chaque scène de manière littérale, avec une simplification qui rend chaque image inoffensive, mais aussi plausible. Ainsi l'apparition d'un albatros dans le ciel du bush australien n'a rien d'onirique ou de poétique, mais cet oiseau n'apparaît pas déplacé dans ce contexte, bien que ce ne soit pas son habitât naturel. Lorsque Beth révèle son costume d'assistante de magicien (tel celui de Zatanna), cela n'a rien de vulgaire, ni de coquin. Tels que dessinés par Guerra, les bas résilles sont sans aucun effet érotique, ou misogyne. D'une manière générale, Guerra se refuse à transformer ses personnages en objets sexuels, en particulier elle ne dessine pas de tétons sur les poitrines nues. À ce stade du récit, il est difficile de dire s'il s'agit d'une pudibonderie mal placée, ou simplement d'une conséquence logique de son approche graphique simplifiée. de la même manière le rêve où Ampersand joue à King Kong avec Yorick est à ce point descriptif qu'il en devient kitsch. Guerra est entièrement au service de la narration sans faire apparaître de point de vue artistique autre que celui de la simplicité. Dans la mesure où le scénario de Vaughan présente une structure élégante et élaborée, l'histoire est suffisamment intéressante par elle-même pour ne pas devoir s'appuyer sur l'aspect graphique pour retenir l'attention du lecteur. 4 étoiles.
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