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Critique de Valhalla28


Un roman de science-fiction qui s'octroie de la fantaisie, des élans poétiques dans un décor pourtant dystopique où les humains sont tombés tellement bas, qu'ils ont fait des égouts leur nouveau royaume.

Du point de vue narratif, l'autrice nous emmène en 2046 dans une Paris vieillie, où seules quelques jeunes âmes en peine trainent, foulent des carcasses d'automates tombées des cabarets aériens. C'est ainsi que l'on fait connaissance avec Claire, voleuse de clichés, et Pia, une psychologue aquatique qui n'a qu'un seul patient au compteur. Ces deux jeunes femmes au physique et au caractère opposés, sont amies, soudées, compréhensives et forment le noyau dur du futur groupe qui verra rejoindre Arthur, un dynamiteur d'aqueduc et enfin Line, la danseuse automate, qu'ils sauveront de son perchoir ou plutôt de sa cage aérienne. Cette rencontre va bouleverser le train de vie de chacun et voir se confronter deux visions, celle de nos compagnons : des humanistes dans ce qu'il y a de plus tolérant, généreux, idéalistes et téméraires ; et celle de l'humanité déchue : décadente, malsaine, elle s'est perdue quand elle a plongé dans les ténèbres de la terre.

C'est donc un groupe d'utopistes qui se monte et rêve d'un vivre-ensemble en cohésion et en cohérence avec leurs valeurs. Néanmoins, si le moteur du groupe est avant tout Claire, les évènements vont permettre à Line de se révéler aux yeux des autres et d'elle-même. Prenant conscience de sa condition d'automate et de celles de ses soeurs, elle va impulser un désir de justice et de liberté. C'est dans l'horreur, la bassesse humaine, qu'elle trouvera un objectif dont elle seule peut être à l'initiative. Ses nouveaux amis, qui l'ont libérée de ses chaînes et qui lui ont permis d'entrevoir autre chose que la soumission, ne peuvent que lui accorder leur confiance et la soutenir afin qu'elle atteigne son but.

La dystopie est bien présente, bien que non expliquée, vous avez la vieille Paris re-quadrillée en nombreuses rues, décrépite et pourtant lieu de refuge. La capitale de la surface est finalement la zone la plus sûre et enviable. Les égouts, Sous-Paris, ne sont que ténèbres, injustices, menaçants, déplorables, bref, un lieu où seules les ordures ont leur place. Et les cabarets aériens, un haut lieu d'esclavagisme, de soumission, où les automates dansent sous la contrainte, sont de purs objets de désirs sur lesquels les hommes posent leurs regards insistants et lubriques.

En lisant le roman, et ce, dès qu'il a été question d'automates jetées depuis les cabarets aériens, j'ai eu deux images très présentes en tête : le manga “Gunnm” et l'adaptation sérielle “Altered Carbon”. Une société clivée, économiquement et géographiquement, où les puissants harassent les pauvres et les soumettent, avec son lot de déviances sexuelles et meurtrières.
Je n'ai donc pas été surprise par la tournure des évènements, la quête de Line et l'appui qu'elle obtient de ses amis. Néanmoins, j'ai apprécié le ton utilisé pour délivrer ce récit. L'autrice oscille entre réalisme, touches de fantaisie et élans poétiques. J'ai accroché au réalisme des situations et des décors bien qu'il soit très minimaliste (voire passé sous silence), parce que nous ne savons pas ce qui a amené la société à se scinder ainsi, ni pourquoi nos compagnons font partie des rares (si ce n'est les seuls) à rester à la surface en la compagnie des enfants, ni ce qu'il se passe en dehors de Paris (c'est un véritable huis clos sans recherche de communication extérieure). Les touches de fantaisie quant à elles sont dans leur quotidien avec des petits détails ici et là qui font sourire ou surprennent, notamment leurs besoins primaires qui paraissent fantasques, leurs activités individuelles avant l'arrivée de Line ; ou encore l'économie mise en place avec la nouvelle monnaie d'échange. Enfin, la poésie se ressent dans les gestes, les sentiments, les convictions, ainsi que l'écriture elle-même.
Garance Verdon-Avizou a su construire une histoire attachante, bien que cette dernière ne se distingue pas particulièrement par son originalité, l'autrice a su délivrer une vision personnelle et féminine touchante. Grâce à la fois par le ton et l'écriture. En effet, la lecture est agréable, le récit fluide. Elle a réussi à garder ou plutôt renouveler mon attention aux bons moments. L'émancipation de l'automate Line n'y est pas étrangère, et tout ce qu'elle traverse dans les égouts est tragique (et n'est pas sans rappeler notre Histoire) et ce mince espoir qu'elle aperçoit au travers d'un nouveau regard, celui de Jack, est salvateur aussi bien pour Line que pour le récit. Enfin, le traitement que lui accorde l'autrice est détaillé (bien plus que pour Claire, Pia ou Arthur) et n'est pas manichéen ; Line paraît plus humaine que beaucoup d'autres, elle se questionne, elle (se) découvre, elle tombe et se relève pour se construire. C'est une âme qui s'éveille. J'ai beaucoup aimé son évolution ainsi que les scènes entre elle et Jack.

Ce qui a pu gêner ma pleine adhésion au livre tient en divers points.
Le premier étant le manque de surprise dans les péripéties (qui parfois s'enchaînent vite) ainsi que les comportements des personnages, que j'estime quelquefois contradictoires, car ils oscillent trop rapidement de la détermination au désespoir, de la rage à la soumission. J'aurais également aimé que le traitement des personnages soit plus constant et suivi ; par exemple, le passé de dynamiteur d'Arthur n'entraîne aucune conséquence sur le récit, ce n'est pourtant pas anodin comme passe-temps.
Curieusement il y a omniprésence des femmes chez les automates - exclusivement de sexe féminin -, et dans le groupe d'amis avec Claire et Pia, mais pas de femmes ailleurs. À croire que les ténèbres et les vices ne sont que l'apanage des hommes, c'est eux qui asservissent et jouissent des automates dans les cabarets, c'est eux qui les chassent au sol, c'est encore eux qui les désossent, et pire, dans les égouts du Sous-Paris. Je comprends l'ambition féministe derrière le récit, “les hommes sont nos bourreaux” (si on se réfère statistiquement aux violences faites aux femmes), mais ça manque quand même de nuances et de réalisme : où sont passées ces autres femmes ? La natalité n'a pas disparu, on parle encore d'enfants, alors…
Enfin, peut-être ai-je un avis trop étriqué, mais la résolution finale (que je ne vais pas révéler) me semble légèrement facile et manque de véracité (c'est peut-être un terme trop dur, mais je n'en vois pas d'autre), cela donne la sensation d'une naïveté à laquelle nous devons adhérer. Cette conclusion trouvée par l'autrice permet un beau tableau final, qui fait boucler le récit, et c'est plus pour cette raison que j'en comprends le choix.
Côté écriture, même si l'ensemble est très bien réalisé, avec un vocabulaire et des figures de style variés, il y a des répétitions de description et d'expression qui alourdissent le propos (yeux et cheveux entre autres et “en n'avoir cure”), et un usage très régulier des différentes figures de style de la répétition - celle voulue et recherchée - (anaphore, épiphore, anadiplose, etc.), qui peut avoir tendance à être contre productif même si cet usage semble faire partie du style de l'autrice. Pour exemples “Elle était automate. Et jamais les automates ne pleuraient.” / “Elle était surprise. Affreusement et agréablement surprise.” / “Line comprit qu'il ne saisissait même pas la nature de ce qu'il faisait. Elle comprit qu'il était comme dans un état second.”
Derniers points que j'impute, là, à l'éditeur, il reste encore des coquilles, des fautes, de rares problème de casses et de césures (Arthur voit par trois fois son nom être coupé, le pauvre), et un souci de mise en page où la dernière ligne de la première page de chaque chapitre est coupée (parfois via un mot et sans césure, parfois plusieurs mots…), avec l'ajout d'un alinéa en première ligne de la page qui suit ; exception faite du chapitre 15 qui, lui, commence en page paire, alors que tous les autre chapitres commencent en page impaire.

Pour conclure, c'est donc un roman de science-fiction, où l'on redécouvre Paris, sa surface, son ciel et ses bas-fonds. C'est une aventure humaine dans laquelle les automates doivent trouver leur place, car ce sont des êtres à part entière qu'il faut considérer comme tels. En quête de liberté, elles doivent définir leurs fondamentaux, leurs raisons de vivre, tandis que l'humanité doit les retrouver à leur contact, si elle ne veut pas périr misérablement et perdre toute empathie.
Une lecture agréable qui, malgré les derniers points soulevés, s'apprécie et aborde de manière optimiste la place des automates (robots) dans notre monde.


Je remercie chaleureusement l'éditeur Publibook de m'avoir offert le livre et l'appli Gleeph pour ce partenariat.
Vous pouvez retrouver mon avis sur mon compte instagram @valhall_arena
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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