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Critique de Eleonore2MC


Lu, d'une traite et sous tension : Zones Sensibles, roman atypique et dérangeant, écrit dans une prose poétique acérée qui ouvre les cavités des entrailles, les charge avec précision, y plaçant ce qu'il faut d'attachement entre le coeur, le ventre, les poumons, pour ensuite éviscérer, passer au karcher ces cavités, laissant par la force du jet une empreinte noire sur les muqueuses blanchies par le sel et l'angoisse. Angoisse des débuts amniotiques, qui continue de flotter dans les odeurs marines quelque soit l'endroit, angoisse mue par la nostalgie de l'enfance où seuls les images et les gestes comptent, où les barrières de l'entendement s'élèvent et perturbent l'innocence des découvertes immédiates. Une fois ces barrières passées - on suppose par cauchemar plus que par miracle - elles ouvrent sur les foisonnements de l'adulte condamné à voir, à ressentir en toute conscience, et à subir des douleurs de carcasse, des abandons multiples et l'anéantissement salvateur auréolé de retrouvailles morbides.
Une quête onirique, dont l'aboutissement serait de n'être plus rien ou de prouver que d'aller vers le Rien est la direction à prendre au lieu de tendre plus communément vers le Tout ; une quête dont le but serait d'atteindre ce rien pour n'être plus atteint par les autres et ne plus même avoir à prendre le risque de s'atteindre soi-même.
Or, par une écriture de mots d'écume, de mots d'un monde lisse, visqueux, de mots glissants qui veulent faire oublier la chair, Romain Verger réussit à scarifier avec cette matière organique et rappelle a contrario que l'être est plein – si sous ces mots il saigne. Pour le lecteur en instinct de survie, tout vibre, tout lutte, dans la vision de ce qui pourrait être un anéantissement.
Le narrateur s'efface, tandis que ses cinq sens mutent avec l'enveloppe du corps, et il parvient à vivre de son apparente destruction - remise d'abord entre d'autres mains, comme s'il ne voulait pas en être tenu pour responsable. Destruction de lui-même servie par une audition et une vue accrues, ou plutôt modifiées, qui le mèneront au bout de sa quête. N'être rien, dans la mort, avec ses morts. Ou être enfin quelque chose auprès de ces mêmes disparus. Etre, survivre autrement, par ou à cause de l'abandon des êtres rencontrés – car après tout, sont-ils vraiment tous morts ? - dans ce nouveau monde, imposé ou désiré, où les disparus montreraient qu'ils palpitent, là, envers et contre la chair commune.
Dans une sorte de réalisme magique, l'éternité semble apparaître sous les écailles, l'éternité en ce qu'elle a d'intemporel, et cela dans chaque particule souvent ignorée, dans ce qui demeure peut-être malgré le narrateur, malgré tous ses efforts, par une mémoire enfouie de l'origine et par les restes de l'instinct de survie transmués en instincts de mort.
Il est donc possible de percevoir une sorte d'espérance dans cette démarche qui se veut passive et morbide. Ce serait une description peu commune pour parler d'elle et l'auteur sème le doute sur ses intentions, jusqu'au bout. Quelles qu'elles soient, l'eau, même noire, est toujours vivante et le Tout pourrait bien se révéler dans le Rien.
Reste dans le ventre, une perle monstrueuse ; et dans le souvenir obsédant, un roman magistral.

EM
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