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Critique de Presence


La rancune des morts
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Ce tome contient une adaptation complète du film The Evil Dead (1981) de Sam Raimi, avec Bruce Campbell. Il regroupe les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2008, écrits par Mark Verheiden, peints par John Bolton, avec un lettrage réalisé par Steve Dutro. L'édition du quarantième anniversaire du film comprend une postface de deux pages écrites par le scénariste en mars 2021, sa précédente postface écrite en juillet 2008, 14 pages d'études graphiques dont celles des couvertures, et celles correspondant aux esquisses de huit pages.

Ash a du mal à croire que les faits se soient déroulés il y a si longtemps. Dans une forêt du Tennessee, une voiture est en train de rouiller à demi enfoncée dans l'eau, avec un squelette sur le siège du conducteur. Scotty avait promis à Ash un endroit reculé, un beau paysage, un endroit parfait pour passer du bon temps avec sa copine. Ça aurait pu être le cas si la copine en question était sourde, idiote et aveugle. Et si ça ne dérangeait pas son amoureux de la voir transformée en une harpie hurlante, tout droit sortie des enfers. Mais Ash anticipe. Par un beau jour d'été, Scotty vient chercher son copain Ash Williams pour qu'ils aillent prendre Linda chez elle. Ash se dit qu'il doit y avoir une loi coutumière qui veut que qu'un copain doive rester avec son pote adolescent attardé, bien après sa date d'expiration. Mais, pour être honnête, c'est Scotty qui lui avait présenté Linda. Arrivée devant chez elle, Ash sort de la voiture et l'étreint, tout en l'embrassant. Les deux copines de Linda sont déjà prêtes avec leur bagage : Cheryl & Shelly. Tout le monde embarque dans la voiture, avec Ash au volant.

En faisant le trajet, Scotty explique qu'il a obtenu la baraque à un bon prix, car tout le monde en a peur du fait de la légende. Linda mord à l'hameçon et demande de quelle légende il s'agit. Un vieil homme vivant isolé qui a perdu les pédales dans les bois, une sorte de folie générée par une vie de solitaire dans une cabane isolée. Il s'en est pris à un promeneur, l'a agressé et mis à terre, puis s'est mis à l'énucléer avec les pouces. Personne n'a jamais su ce qui était vraiment arrivé. Il éclate de rire en se moquant des filles car c'est une histoire qu'il vient d'inventer. Il demande à Ash où ils en sont de la route. Son pote consulte la carte et lui répond qu'ils viennent de franchir la frontière entre le Michigan et le Tennessee. Scotty indique que le volant ne répond plus : ils manquent d'emboutir une voiture venant en sens inverse, puis la direction refonctionne. Ash assure qu'il a fait réviser sa voiture la veille. Ils franchissent un pont qui accuse le poids des ans, limité aux véhicules de moins de trois tonnes. Ils arrivent enfin devant la maison dans les bois. Avec le recul des années, Ash a du mal à croire qu'il était pressé d'arriver, et il sait maintenant que la cabane était également pressée qu'ils arrivent, et que les deadites étaient présents tout autour, dans les arbres, dans la forêt.

Soit le lecteur a déjà vu le film et il sait à quoi s'attendre. Dans la postface initiale, le scénariste explique qu'il s'était fixé trois objectifs en réalisant cette adaptation : en raconter un peu plus que le film en extrapolant sur des détails comme des scènes bonus pour le fan avide, ne pas trahir l'esprit du film et conserver sa sensibilité de folie et de maniaque, enfin capturer l'atmosphère visuelle. Il se félicite que son script ait été confié à John Bolton, artiste remarquable. En fonction de ce qu'il est venu chercher, le lecteur ayant vu le film sera plus ou moins satisfait de la fidélité à l'oeuvre, des ajouts mineurs, et des rares écarts par rapport aux scènes qu'il connaît. Il se dit que Verheiden connaît le film et l'a apprécié. Il reconnaît que John Bolton sait dessiner Ash de manière fidèle, et que ses deadites n'ont vraiment pas l'air frais. Il retrouve l'ambiance de claustrophobie et d'angoisse qui monte, l'horreur corporelle très charnelle, la succession d'agression, la prise de confiance progressive d'Ash pour faire face aux agresseurs. Il apprécie la tonalité de la voix intérieure d'Ash qui commente les faits a posteriori avec une forme de sarcasme bien adaptée aux agressions monstrueuses, une forme de dérision qui ne diminue en rien l'impact horrifique, qui la renforce en faisant ressortir le manque de compréhension des protagonistes, et l'inéluctabilité de leur destin. Éventuellement, il peut trouver discutable l'ajout d'une scène inédite sur la dernière page.

S'il n'a pas vu le film, le lecteur découvre une histoire d'horreur dont l'intrigue lui semble assez mince. Il se dit que l'expérience dans une salle de cinéma doit être plus prenante en ce qui concerne les sensations et l'ambiance, constituant l'intérêt principal plutôt que l'histoire. Il suit donc ces pauvres jeunes gens promis à une nuit inoubliable, mais pas pour les raisons qu'ils souhaitaient. Il sourit en voyant la trappe se soulever d'un coup, et Scotty descendre au sous-sol avec une lampe à huile. Il sourit encore en voyant les objets qu'il a découvert : des accessoires dignes d'un film de série Z, ou d'un comics tellement dérivatif qu'il en devient insipide et inoffensif. Il relève la référence au Necronomicon, et ressent l'invention de ces Kardariens à nouveau comme une civilisation antique prête à l'emploi, sans aucune substance. Il a bien compris que la déclaration du scénariste reflète sa réelle intention : retranscrire l'ambiance malsaine du film dans une bande dessinée.

S'il n'est pas entièrement convaincu par la couverture, le lecteur change d'avis dès la première page du premier épisode : John Bolton est l'homme de la situation. Cet artiste est arrivé à un moment de sa carrière où il maîtrise la combinaison de deux approches graphiques : le photoréalisme et des rendus oscillant entre impressionnisme et expressionnisme, avec une sensibilité pénétrante pour l'horreur corporelle. En voix off, Ash annonce qu'il aurait fallu être sourd, idiot et aveugle pour apprécier cette villégiature. En images, le lecteur voit une étrange tête avec la peau tendue sur le crâne, des yeux rougeoyants, comme intégrée dans un arbre, avec un arrière-plan délavé, puis cette voiture à demi engloutie, gorgée d''une humidité insalubre. La deuxième page est occupée par une peinture en pleine page, une jeune femme hurlant au visage du lecteur, du sang sur les dents, le corps tendu, le teeshirt taché à l'encolure. Il n'y a pas à dire : cet artiste prend l'horreur au sérieux.

La scène suivante se déroule sous un soleil radieux : dans cette large avenue, la représentation oscille entre un rendu photographique et des formes plus simples. Il est difficile de savoir si Bolton travaille à l'infographie, ou peint d'abord et retouche après avec un logiciel, s'il utilise des photographies pour certains décors qu'il retouche et intègre ensuite à ses compositions. Par rapport à sa phase précédente, il est ici arrivé à un amalgame harmonieux entre ces différentes approches de représentation et le résultat est saisissant. Dès la fausse histoire vraie racontée par Scotty, le lecteur voit le sang gicler, un sang épais et visqueux, un sang qui tache. Par la suite, l'artiste s'amuse avec la convention des films d'horreur qui veut que le sang, ça gicle fort. Vient ensuite l'agression du professeur par sa compagne : le lecteur accuse le coup de la sauvagerie sans retenue de l'attaque, le teint cadavérique de la peau, le regard possédé par la folie. À nouveau Bolton ne fait pas semblant. Lorsque Cheryl est attaquée par des vrilles, le lecteur a l'impression de pouvoir toucher la viscosité des vrilles, d'entendre le tissu du teeshirt se déchirer, de voir apparaître les marques sur la peau de la jeune femme. le chapitre deux s'ouvre avec le constat qu'il est temps de cacher le reste des crayons (une remarque pince-sans-rire très drôle dans son contexte), et un dessin en pleine page de Cheryl en train de flotter au-dessus du sol, avec la chair ayant déjà pris une teinte cadavérique : un spectacle vraiment pas ragoûtant. Lorsqu'elle s'empare d'un crayon qu'elle plante dans l'arrière de la cheville de Linda, le lecteur grimace en voyant la chair ainsi déchirée, et le sang s'écouler. Dans la case adjacente, la jeune femme hurle la bouche grande ouverte, et ses dents sont représentées avec une telle justesse qu'un instant le lecteur croit voir une photographie. Un peu plus tard, c'est au tour de Shelly d'être contaminée, et d'avoir sa tête projetée dans l'âtre de la cheminée, un feu y étant allumé. Bolton passe dans un autre registre que celui photographique, avec des taches de couleur pour évoquer une chair putréfiée et brûlée : le résultat est immonde à souhait, totalement convaincant. le lecteur doit avoir le coeur bien accroché pour affronter les visions d'horreur suivantes.

Adapter un film à l'intrigue aussi mince, à l'intérêt résidant dans l'expérience visuelle, l'ambiance et les prises de vue, constitue une entreprise peu raisonnable. le scénariste doit faire en sorte de compenser la vacuité de l'histoire sans la trahir en rajoutant des ingrédients hétéroclites. L'artiste doit parvenir à retranscrire les sensations provoquées par le film, avec des images statiques, sans oublier que la vitesse de lecture est entièrement contrôlée par le lecteur. Pour un lecteur n'ayant pas fait l'expérience du film, le résultat est saisissant : une histoire prétexte s'appuyant sur des références horrifiques clairement affichées, et une narration visuelle très charnelle, avec un regard personnel porté sur ce qu'il y a à montrer, et une maîtrise impressionnante de différentes techniques pour créer des effets horrifiques impressionnants.
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