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Critique de Alzie


Alzie
27 septembre 2014
Cet essai de 2008 se veut une réflexion positive, même si les perspectives apparaissent plutôt sombres, sur l'évolution du métier d'éditeur et plus généralement sur l'avenir de l'ensemble de la filière édition elle-même. Les transformations auxquelles elle a dû et doit faire face, d'une part sous la poussée des nouvelles technologies apparues dans le dernier quart du XXe siècle, et d'autre part sous la pression d'un modèle économique imposé par la globalisation du marché, la confrontent brutalement à la réalité de sa survie, rien de moins.

Présentée sous forme de questions/réponses, cinquante au total, l'analyse est vraiment convaincante et parfois un peu polémique - l'auteur est lui-même éditeur dans une maison indépendante. le regard qu'il pose sur la profession est lucide, extrêmement critique, mais jamais pessimiste. Il y croit à son métier, Eric Vigne, et le lecteur avec lui. Des convictions qu'on aime bien tant elles semblent si fermement arrimées à une confiance indéfectible dans l'écrit, que pour ma part je partage, à la réserve près qu'on peut parfois trouver ces positions un tout petit peu excessives, mais juste à la fin, quand il se prend à légèrement caricaturer le comportement des internautes.

L'essai est traversé par une perspective historique retraçant l'évolution du livre et de l'édition dans la spécificité du fonctionnement de la chaîne éditoriale contemporaine et de son économie. A une période allant du XVIIIe siècle au milieu des années quatre-vingts du XXe siècle où se fonde le droit d'auteur et où s'invente le métier d'éditeur, succède une période d'inversion de la hiérarchie des valeurs due aux bouleversements technologiques et à l'accélération des circuits commerciaux. Tout cela est très bien décrit et finement décortiqué. Qu'il s'agisse de la concentration du marché et du diktat d'une rentabilité à deux chiffres, de la crise de la presse écrite mais plus généralement d'une crise de la culture, de la concurrence de l'audiovisuel et du numérique, facteurs aggravants de la crise de l'édition, la démonstration de l'essai est particulièrement riche, argumentée et instructive.

Eric Vigne souligne avec beaucoup de pertinence le rôle actif joué très anciennement par la presse écrite dans la prescription de livres. La montée en puissance de l'audiovisuel, associée à de nouvelles politiques et pratiques culturelles (divertissement, diversification des modes de lecture notamment), a complètement changé la logique d'un système où le temps long de l'analyse et de la réflexion prévalait sur l'immédiateté d'un flux d'informations qui a fini par gagner l'univers du livre, engendrant toute une "littérature communicationnelle". Quand la littérature devient une marchandise, qu'advient-il alors du métier d'éditeur ? C'est la question lancinante que pose cet essai. Un lecteur curieux ou averti ne peut y rester insensible.

L'ensemble des questions recouvrant les problématiques sous-jacentes d'entreprise qui s'imposent au milieu professionnel sont tout aussi passionnantes. Stratégies contradictoires opposant des choix éditoriaux ambitieux et des politiques commerciales répondant à des impératifs de rotation de stocks et de trésorerie, liés aux critères d'une gestion marchandisée. Dans cet environnement concurrentiel où la financiarisation s'est immiscée partout et où la prégnance des circuits obligés de distribution entraînera à terme l'inexorable restriction d'une offre dont la qualité est déjà bien entamée, l'éditeur peut légitimement se demander s'il a encore un rôle à jouer et si le livre originellement prévu pour faire progresser la pensée à encore une place à tenir dans ce domaine ?

L'essai interroge aussi sur la place de l'université, de la recherche, aborde la question de la crise des savoirs dans les sciences humaines et sociales par exemple, qui affecte le contenu et la forme même des livres et notamment celle des essais, ainsi que celle des traductions dans un cadre européen ou mondial. Contexte crucial donc pour l'édition, mais espoir réaffirmé, au fil des pages, que l'arme d'avenir d'une édition résistante reste bien le contenu, représenté par un catalogue exigeant, homogène et cohérent, seul apte à séparer le bon grain de l'ivraie, à long terme. On veut y croire avec lui.

A lire ou relire en ces temps de parutions diverses et (a)variées où la responsabilité de l'éditeur ne cesse de questionner.
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