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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


Léonard Vincent est un écrivain et journaliste, qui a déjà commis quelques ouvrages sur l'Érythrée. Ici, il ne fait pas dans le reportage mais dans la fiction et, bien qu'il ne soit jamais question nommément de l'Érythrée, le pays qu'il décrit y ressemble furieusement. Même si ce qui s'y passe pourrait être transposé dans toutes les dictatures africaines, puisque le schéma colonisation-guérilla de libération nationale-indépendance-dictature n'est pas propre à l'Érythrée. C'est ce processus l'auteur décrit à travers les portraits de trois personnages archétypaux : le ministre, le fonctionnaire, le Chef. On nous les présente dans leurs fonctions actuelles, entre bureaucratie complexe et vide de sens et diplomatie de carnaval. Anciens guérilleros remarqués à l'époque pour leur courage, leur loyauté ou la peur qu'ils suscitent, ils regrettent le temps béni de la lutte d'indépendance et s'ennuient ferme dans leur bureau à la climatisation glaciale, dans la monotonie des tâches répétitives. Les deux premiers ont un autre point commun : la peur (qu'ils partagent d'ailleurs avec la plupart de leurs concitoyens). Peur de déplaire, d'en dire trop ou trop peu, de froncer un sourcil à un moment inopportun, d'être dénoncé pour un toussotement intempestif. Une peur matérialisée par l'arrivée soudaine d'un Land Rover sans plaques d'immatriculation, qui les cueille au petit matin sans explication et les emmène on ne sait où pour Dieu sait combien de temps. le Chef, quant à lui, est tout-puissant, mais il sait pertinemment qu'un jour viendra où il ne le sera plus, débarqué par un coup d'Etat venu de la rue, pilotée par la faim ou la pauvreté, ou par des puissances étrangères rêvant de faire main basse sur les richesses du sous-sol local.
La forme du roman autorise l'auteur à prendre du temps et de la distance, contrairement aux journalistes à l'affût d'information immédiate frappant les esprits. Une distance qui lui permet paradoxalement de donner une vue de l'intérieur de la dictature. Sans surprise, celle-ci apparaît répressive, brutale, aveugle, avide de pouvoir et d'argent, indifférente au sort de sa population. Mais au final, un colosse aux pieds d'argile, qui ne parvient pas à empiler tous les "déviationnistes" dans ses fosses communes. Beaucoup s'entassent dans des camps de réfugiés dans les pays limitrophes ; parfois certains de ces "hommes du ministère" écoeurés, épuisés par cette mortelle mascarade, font défection à l'occasion d'un voyage officiel en Europe. Peut-être que, sans nous en douter, nous en avons déjà croisés, réfugiés dans l'anonymat de nos démocraties occidentales.
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