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Critique de Rodin_Marcel


Sjöwall Maj et Wahlöö Per – "L’abominable homme de Säffle" – rééd. Rivages/noir, 2009 (ISBN 978-2743620271) – original suédois publié en 1971
– Première édition française publiée en 1987 - Roman traduit directement du suédois par Philippe Bouquet.
– Deux préfaces, l’une de Jan Guillou (cop. 2009), l’autre de Jens Lapidus (cop. 2009).

Au fil des titres de cette série des dix enquêtes de Martin Beck (dont le présent volume est le septième), l’intrigue «policière» s’efface de plus en plus pour (ne plus) laisser place (qu’) à une thèse historico-sociologique consistant à «dénoncer» les méfaits et turpitudes de la «société» suédoise des années soixante et soixante-dix du vingtième siècle, à l’époque où ce pays passait pour un modèle de prospérité et d’égalité sociale. Les deux auteurs étaient en effet fortement pétris d’idéologie marxisante fort en vogue dans les années post-soixante-huitardes.

Contrairement à d’autres imbriquant plusieurs trames, le présent roman est centré sur une seule enquête, qui vise à «démasquer» (comme on disait à l’époque !) celui qui se fait assassiner dès le début du roman, un certain Nymann (en allemand, «niemand» signifie «personne», est-ce un hasard ?), qui s’avère rapidement être un de ces policiers de l’ancienne époque, venu des services secrets de type «barbouze» (encore un mot très en vogue à cette époque) et même des commandos spéciaux de l’armée, bref, un très méchant très vilain.
Evidemment, les auteurs en profitent pour mettre en scène toute une galerie de personnages qui furent de près ou de loin persécutés par ce grand méchant vilain ; bien sûr, il faut remonter loin dans le passé pour retrouver les causes de l’assassinat, mais ce n’est guère original dans un roman policier. Finalement, il est bien clair pour le lecteur que l’assassin n’a fait que rendre service à l’humanité entière en débarrassant «la société» de ce tortionnaire. Il n’a pour défenseur que son ancien disciple, un dénommé Hult, qui fournit un récapitulatif de l’évolution de la Suède (chapitre 13, pages 112-113). La fin est spectaculaire, mais somme toute assez peu crédible au regard du portrait du coupable qui nous a auparavant été dressé.

De fait, l’indication la plus intéressante provient de la préface de Jens Lapidus :
«On a beaucoup dit que la perspective radicale de Maj Sjöwall et Per Wahlöö avait posé les véritables fondations du genre policier suédois. Ils ont même repris le flambeau d’écrivains prolétariens suédois tels que Ivar Lo-Johansson et Per Anders Fogelström, et élevé la critique sociale au rang d’élément constitutif naturel de la narration.»

Le traducteur lui-même, Philippe Bouquet, s’est fait le promoteur tenace de cette littérature suédoise dite «prolétarienne» en traduisant nombre des romans produits par ce mouvement, en soutenant une thèse devant l’université Lille-3 (1980) et en publiant sur le Web un article de synthèse (voir : http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Le-roman-proletarien-suedois.html).
On sait qu’en France, la tentative d’émergence d’une littérature «prolétarienne» (sous l’égide d’Henry Poulaille et de Marcel Martinet) fut finalement violemment décriée puis combattue par les caciques du PCF.
En Allemagne en revanche, le parti communiste officiel (KPD) s’empara durablement de ce moyen d’expression à travers le BPRS (Bund proletarisch-revolutionnärer Schriftsteller – 1928-1933), dont les auteurs connurent de confortables et solides carrières une fois installés en ex RDA-DDR (comme par exemple J.R. Becher, Willi Bredel ou Anna Seghers).

L’étude de ces tentatives de littérature «prolétarienne» et «prolétarienne-révolutionnaire» fut un temps très à la mode dans les milieux intellectuels post-soixante-huitards : je ne sais si ces deux auteurs suédois, se réclamant de la sainte trinité Marx-Lénine-Mao, participèrent à cette exhumation…
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