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Critique de Alfaric


Merci Babelio, merci Masse Critique, merci Archipoche !

Singulier personnage que Lewis Wallace le créateur de Ben Hur, aristocrate américain pur jus, qui de la Guerre de Sécession à l'arrestation de Billy the Kid a connu une vie bien remplie, dont la carrière d'écrivain ne constituait que la partie loisir : juriste, avocat, diplomate, militaire, et membre de quatre partis politiques différents avant de devenir gouverneur du Nouveau Mexique puis ambassadeur à Istanbul. Son "Ben-Hur : A Tale of the Christ", a été le livre américain le plus vendu du XIXe siècle avant d'être qualifié de livre chrétien le plus influent de l'époque contemporaine...


Je vais donc vous parler de Ben Hur avant de "Ben-Hur : A Tale of the Christ". L'histoire de Judah prince juif de la maison Hur de Jérusalem est celle d'une trahison, d'une quête de vengeance et de l'obtention d'une rédemption. Elle n'est pas si éloigné de celle d'Edmont Dantès, le duumvir Quintus Arrius remplaçant l'abbé Faria et la fortune romaine le trésor de Monte Cristo. Ces deux récits ont cela de commun qu'ils ont su toucher du doigt les archétypes universels que tout le monde connaît et dans lesquels tout le monde peut se reconnaître. Cela marche d'autant mieux ici que l'auteur puise dans propre vie pour nourrir son récit : la carrière militaire, le sentiment de trahison et d'injustice, la conversion au christianisme... Et il est d'autant plus sincère qu'il met en scène son rêve d'oeuvrer pour un monde meilleur en combattant aux côté de Jésus de Nazareth !
Sur le forme, on retrouve la prose du dix-neuvième siècle, truffés de descriptions, agréables certes, mais horripilantes à la longue car on y a droit pour chaque lieu, chaque bâtiment, chaque personnage avec un ligne de commentaire pour chaque pièce de vêtement et chaque trait du visage... Elles occupent une bonne part du roman et en font aussi le charme, mais personnellement passé un cap je les ai lues en diagonale pour éviter l'overdose (cela et les longues tirades didactiques qui tiennent plus du monologue que du dialogue). Mais j'ai redécouvert avec joie la bataille navale entre soldats romains et pirates grecs, l'anthologique course de char avec les chevaux Rigel, Antarès, Altaïr et Aldébaran, la tragique plongée dans la vallée des lépreux... Et j'ai découvert le triangle amoureux entre le Prince de Hur et les filles de Simonide et Balthazar, les mesquines vengeances de Messala (qui après lui avoir envoyé le gladiateur saxon Thord pour l'assassiner, le menace de le dénoncer lui et sa rébellion à Séjan le terrible préfet du prétoire de l'Empereur Tibère) ou les préparatifs de première guerre judéo-chrétienne, Ben Hur recrutant et organisant les légions du soulèvement avec l'argent du prince marchand d'Antioche Simonide et les réseaux du cheik arabe Ildurim le Généreux...
J'aimerais m'attarder sur ces quelques-uns de ces éléments :

Mais tout cela est noyé dans le prosélytisme. J'ai passé les nombreux passages « Dieu est grand... blablabla... Loué soit l'Éternel... blablabla... Hosanna au plus haut des cieux ! », ou ceux voulant démontrer qu'il n'y a de bonheur possible que dans l'obéissance à Dieu et aux lois de lois de Dieu. Au final j'ai plus lu l'histoire du Christ avec en filigrane celle de Ben Hur que celle de Ben Hur avec en filigrane celle du Christ. le fils de Marie apparaît peu, mais on parle de lui en permanence... D'ailleurs, le récit commence par 50 pages consacrées à l'épisode de la Nativité avec les rois mages, le philosophe grec Gaspard pour l'Europe, le brahmane hindou Melchior pour l'Asie et le prêtre égyptien Balthazar pour l'Afrique, qui vante les mérites du judéo-christianisme sut toutes les autres formes de spiritualités... Il met d'ailleurs 100 pages à démarrer, et son apogée intervient à 200 pages de la fin, l'auteur s'attardant avec beaucoup de pathos sur le sort de la mère et la soeur de Ben Hur avant de mettre en scène l'ascension puis la chute du Nazaréen. D'ailleurs le twist est bizarre : on adore Jésus pour son message et ses miracles et tout monde brûle de se mettre à son service, puis d'un coup tout le monde retourne sa veste et se met à la haïr et à souhaiter sa mort... Comment l'auteur nous explique cela : le fils de Marie devait mourir pour ensuit ressusciter et accomplir sa destinée. Mouais, le plus gros deus ex machina de l'Histoire de l'Humanité ? blink
Le côté biblique l'emporte ainsi sur le côté historique, le côté religieux sur le côté romanesque. Mais c'est aussi ce qui est en fait une oeuvre témoin du renouveau chrétien au XIXe siècle. Comme pour L"'Odyssée" d'Homère, les éléments qui plaisent le plus au public moderne ne constituent qu'une partie de l'oeuvre d'origine, pas la plus importante et pas la plus divertissante pour le public d'origine...

Longtemps je me suis demandé pourquoi l'auteur alternait précision et clichés. D'un côté on a un panorama réussi autant géopolitique que paysager de la Judée au début du Ier siècle, ainsi que de belles descriptions de la métropole d'Antioche, mais d'un autre côté on a quelques grosses conneries :
- non, les esclaves galériens n'ont jamais existé dans l'Antiquité !
- non, Néron ne peut pas persécuter les chrétiens avant son règne voire avant sa naissance...
- non, les catacombes n'ont pas été créé pas les chrétiens et elles ne leur ont jamais servi de refuges !
En fait l'explication est très simple : l'auteur puise sa documentation dans la littérature religieuse. C'est donc sans aucun recul qu'il reprend à son compte les erreurs de la Bible, de l'Histoire des Juifs de Flavius Josèphe ou des hagiographies des saint chrétiens... qui comme toutes oeuvres de propagande ne se sont jamais embarrassées de véracité... C'est plus régulier que prégnant du coup j'ai essayé d'en faire abstraction, mais les enflammades prosémites ont également gâché mon plaisir en me sautant au visage et en m'étranglant comme un boa constricteur...

Cette fascination des Américains pour les Hébreux dans lesquels ils se projettent méritaient un travail de recherche de longue haleine (peuple élu, terre promise, destinée manifeste, mais aussi sentiment de supériorité qui peut dégénérer à l'occasion en suprématisme...).


Bref, j'ai aimé l'histoire de Ben Hur, et je reverrai avec un immense plaisir le film de William Wyler (1959) ou la bande dessinée de Jean-Yves Mitton (2008), qui pallient à tous les défauts de l'oeuvre originelle, mais je reste mitigé voir déçu par "Ben-Hur : A Tale of the Christ", et ce malgré ses apports indéniables à la littérature historique en général et au genre peplum en particulier, dans lesquels il me tarde déjà de replonger. Peut-être à nouveau grâce à Archipoche, qui réalise ici du bon travail (si on oublie les 2 coquilles à Byzance/Bysance qui m'ont un peu piqué les yeux ^^).


PS : carton jaune tous les éditeurs qui ont classé ce classique du XIXe siècle, de la littérature américaine et de la littérature chrétienne, en littérature jeunesse. Déjà placer en CDI une oeuvre ouvertement prosélyte entre" le Petit Nicolas" et "Harry Potter", bonjour le respect de la laïcité hein ! Ensuite c'est totalement méprisant de catégoriser jeunesse tous les classiques des littératures de genre sous prétexte qu'il ne s'agit pas de « vraie littérature ». Et puis c'est tout aussi méprisant de décider que tout ce qui est ancien est moins bien donc enfantin, alors même que le niveau de langage usitée dans ces titres les rendent inaccessibles voire illisibles pour les jeunes générations du XXIe siècle. Avec un tel état d'esprit, on comprend mieux pourquoi la France est le pays développé ou la pratique de la lecture est la moins développée (mais les caciques de la culture vont encore se gargariser de l'augmentation du nombre de titres sortis, en oubliant sciemment que les tirages sont depuis une douzaine d'années en chute libre avec des chiffres de vente divisés par 2, 3, 5, 7 voire 10 en fonction des niches... « Jusqu'ici tout va bien ! » dit à chaque étage l'andouille qui tombe d'un immeuble...)
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