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Critique de Ingannmic


Où l'on retrouve Tora, fillette rencontrée dans La véranda aveugle, et qui, doucement, grandit. Son beau-père Henrik est en prison pour avoir mis le feu aux quais et aux cabanes de pêcheurs de l'Oncle Simon. Elle s'efforce de ne penser qu'à ça, l'absence salutaire de cet homme à l'origine du péril, cette sensation permanente de terreur et d'insécurité qui a investi la moindre parcelle de sa vie, le moindre repli de son inconscient. Une vie nouvelle commence, elle veut se laver de toute souillure, se débarrasser de son passé, devenir une autre. Elle ose, enfin, se considérer comme quelqu'un, s'exprime davantage, fait des projets. Elle espère quitter son île pour aller au cours complémentaire. Elle est la plus douée des filles de l'école de Vaeret, et l'Oncle Simon lui a promis de financer ses études.
L'intranquillité pourtant subsiste, sourde mais tenace.

Le soulagement lié à l'incarcération d'Henrik est nuancé par la maladie de la tante Rakel, dont elle s'est a priori remise mais qui a assombri l'éclat de cette femme toujours solide et rayonnante, et a laissé dans son sillage une sensation malaisante. Et puis son beau-père, autour duquel plane une chape de silence, et que seule sa mère va visiter en prison, reviendra un jour…

Le passé, enfin, l'a marquée de son empreinte, et Tora ne peut s'en libérer complètement : elle vit dans le mensonge et le silence, hantée par un secret qui la dévalorise sans cesse à ses propres yeux, et par les questionnements qui en découlent : comment survivre ? Vaut-il mieux pour cela être seule ou entourée ? Comment concilier l'innommable agression faite à son intégrité avec les commandements moraux et religieux qui gouvernent le monde ?

Je repense, en rédigeant ce billet, au commentaire laissé par Athalie suite à mon avis sur le premier volet de la trilogie de Tora : "Certaines publications qui fleurissent depuis quelques temps sur la problématique du féminisme me paraissent bien fades par rapport à son oeuvre, qui ne rentre pas dans une catégorie, plus ou moins à la mode et où, parfois le propos "modernisé" de destins féminins tombe à plat. Ça m'agace et j'ai de plus en plus tendance à les fuir. Il vaut mieux lire Wassmo !"

Je le trouve très juste. La condition féminine est omniprésente, dans l'oeuvre de Wassmo, mais elle nous y sensibilise et exprime sa révolte sans discours ni même l'once d'aucune digression d'ordre rhétorique.

Elle décrit des existences, dont elle extirpe, sans que la volonté de le faire transparaisse, le détail d'événements quotidiens, d'attitudes, qui disent la dureté, les humiliations, le ravalement au statut d'une infériorité qui contraint à la soumission et au silence. Chaque indice est criant, dit la difficulté d'être femme dans un monde où elles n'ont pas la parole. Et c'est aussi la violence d'une condition sociale qu'elle met ainsi évidence, dédiant par exemple de longues lignes à la description des mains de Soleil, qui à elle seules expriment la rudesse d'une vie dédiée aux autres et au travail.

Soleil que l'on retrouve donc en même temps que Tora, qui déjà semble adulte, et fait elle aussi des projets, pour fuir le foyer et la fourmillante fratrie que sa mère neurasthénique et maladivement pieuse laisse à son entière responsabilité. Soleil l'infatigable, qui économise en vue de financer une formation professionnelle, travaillant sans relâche, gérant des frères et soeurs incapables de se débrouiller sans elle, arrondissant son salaire en accordant à son patron des privautés dont elle ne mesure pas la perversion…

Et puis il y a Ingrid, la mère de Tora, solitaire et débrouillarde, qui trime pour un salaire de misère dans un atelier où ne règne aucune solidarité, que son mariage avec Henrik soumet au poids des jugements faciles.

Nous sommes ici dans une réalité qui n'est ni historique ni politique. Les temps modernes comme les temps anciens y semblent ridicules. C'est une réalité soumise à un quotidien qui impose jour après jour d'usants efforts pour assurer sa subsistance, aux saisons de pêche et d'élevage, aux caprices d'une nature qui peut d'un seul coup venir détruire le travail de toute une vie. Les habitants de l'île, taiseux réfractaires à tout ce qui sort de l'ordinaire, méfiants envers les plus instruits ou les plus riches, refont preuve alors pour un temps, d'un peu de solidarité.

Quant à Tora, pourra-t-elle s'émanciper de la terreur des hommes que le péril a ancré en elle ? Je vous laisse le découvrir mais sachez que, quelle que soit la réponse, le chemin sera très, très douloureux.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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