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Critique de hervethro


Au milieu des années 30, Simone Weil (la philosophe, pas la femme politique) s'est fait embaucher comme simple ouvrière dans une usine (Alsthom, puis Renault) afin de pouvoir décrire le quotidien des travailleurs vu de l'intérieur.
En 1968, on les appelait les Métalos.
Masochisme ? Mauvaise conscience d'être une privilégié dans un monde cruel ? Plutôt envie de vouloir changer les choses.
Vous allez me dire que la situation actuelle n'a que peu à voir avec celle de 36. Cette France d'entre deux guerres était encore résolument rurale et la condition de classe était encore palpable.
Mais les choses ont-elles réellement évoluées ?
Avant de poser les choses, revenons sur ce précieux document. Pour une fois, il est donné à un ouvrier de parler de son quotidien. C'est effarant !
Je passe sur le journal d'usine où Simone note les nombre de pièces réalisées et le salaire qu'elle en reçoit. Trop fastidieux. Autant lire un bilan comptable. On lui préférera les chapitres de réflexion, notamment ces lettres à un directeur d'usine de cuisinières (les fameuses Rosières). Car le livre n'est pas un traité sur la condition ouvrière mais une correspondance et quelques articles choisis. On y trouve également un chapitre édifiant et très bien écrit sur la vie des ouvrières métallos qui vaut comme la précieuse pièce de musée d'un temps révolu.
Révolu ?
Certes, les conditions de l'exploitation prolétarienne ont évoluées. du reste, même le mot prolétaire n'est guère plus utilisé. Nous sommes entrés dans un monde consumériste où l'esclave au boulot est devenu le prisonnier de la consommation à outrance.
Les travaux sont moins pénibles, moins salissants, les semaines plus courtes, les journées réduites et 36 a apporté ces fameuses vacances estivales.
Vacances que beaucoup n'ont pas les moyens de mettre à profit en s'échappant de leur triste quotidien.
Journées réduites mais plus concentrées (le fameux effet de la Taylorisation – dont Simone Weil donne une très belle explication).
Semaines plus courtes, mais à courir tout azimut et en tous sens : le temps passé dans les transports ayant bondi, les plans d'urbanisme s'ingéniant à tout placer hors de portée et obligeant à recourir à cette invention démoniaque : la voiture.
Et le travail lui-même ?
Est-on plus heureux au bureau qu'en usine ?
Peut-on s'épanouir dans le cruel monde de la grande distribution ?
Même si le travail à la chaine a quasiment disparu, si les cadences infernales ne sont qu'un vieux souvenir en noir et blanc dans un film de Charlot, même si les salaires ont progressé, même si…
Le constat reste le même : on relève partout une déshumanisation des conditions au travail. L'homme ne commande plus aux machines, mais se trouve dirigé par elles.
Un récent sondage en Angleterre donnait 12% de personnes heureuses à leur boulot. C'est peu.
Il n'y a que dans l'émission « Des Racines & Des Ailes » où l'on croise des gens passionnés par leur métier. Leur métier. Pas un travail, un boulot, un emploi. Non : un métier. Donc un savoir et un savoir faire. L'amour du travail bien fait. de la recherche de l'excellence. du bon geste. En cent ans, sous prétexte de nous simplifier la vie (tout comme le prétendaient la voiture, la télévision et le téléphone), ces objets libérateurs sont devenus aliénants. Nous avons perdus l'art du beau geste. Il y a une élégance à manier la faux plutôt que la débroussailleuse, à écrire qu'à taper sur un clavier – former une lettre demande une dextérité différente, tandis que appuyer sur une touche sera toujours le même geste grossier.
Ce qui rend inhumain le monde du travail actuel, c'est toujours de ne pas savoir pourquoi on travaille. Ni pour qui. Il est clair qu'on ne doit pas travailler pour soi, ni pour son patron. Tout le monde travaille, sans aucune distinction, pour les autres. La communauté. Et si votre activité ne répond pas à cette évidente question, c'est qu'elle est peut-être bien nocive (publicité, banque, surveillance) : elle n'apporte rien à la société. Juste quelques dividendes supplémentaires aux actionnaires. du reste, cette notion d'actionnariat avait échappé totalement à mademoiselle Weil.

Je pense que tout reste à penser en ce qui concerne le monde du travail. Nous faisons fausse route depuis la fin de la guerre (les trente glorieuses) où nos gouvernants n'ont qu'un seul mot à la bouche : la croissance. Mais croissance n'est pas progrès, surtout s'il n'est pas partagé par tous.
Revenir à de plus petites structures, afin d'augmenter la diversité, lutter contre la globalisation et les concentrations économiques, éviter un chômage démesuré et proposer surtout un sens au travail. Qu'il épanouisse au lieu d'aliéner. Que ses acteurs soient leurs propres maitres : on ne conçoit pas qu'un paysan ne soit pas propriétaire de sa terre. Que l'on retrouve le bon et le beau geste. Et une dignité, une fierté du travail bien fait et parfaitement nécessaire.
Une phrase résumé à elle seule le propos : « le problème est que le travail est gouverné par la nécessité et non par la finalité ».
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