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Critique de Archie


Avant d'être abominables, les nazis se montrèrent d'abord grotesques, puis absurdes. C'est le crescendo suffocant dans lequel la plume de l'écrivain tchécoslovaque Jiri Weil (1900-1959) nous enserre lors de la lecture de Mendelssohn est sur le toit, un roman dont les péripéties se situent à Prague pendant la Seconde Guerre mondiale, plus précisément entre 1941 et 1943.

Lorsqu'en septembre 1941, Reinhard Heydrich est nommé par Hitler à la tête du Protectorat de Bohème-Moravie (grosso modo la République tchèque actuelle), il est aussi depuis plusieurs années responsable de l'appareil répressif du Reich. C'est à ce titre qu'il est investi de la mission de mettre au point une solution finale à la question juive en Europe. Prague constituera donc un terrain d'expérimentation pour cet homme de trente-huit ans à l'insensibilité et à la cruauté sans pareil. Il y fera régner la terreur, il y engagera un processus méthodique d'arrestation des Juifs et leur déportation vers un ghetto créé de toutes pièces dans la petite ville-forte de Theresienstadt (Terezin), avec à la clé le pillage systématique de leurs biens. Une étape avant l'extermination à Auschwitz de soixante-dix-sept mille d'entre eux. Sa mort en mai 1942, consécutive à un attentat commis par des résistants tchèques, sera suivie de représailles féroces et ne ralentira pas le processus enclenché.

Mais tout commence par le grotesque, je l'ai dit. Alors, rions un instant, ça ne durera pas.

La plus prestigieuse salle de concert de Prague vient d'être reconvertie en Maison de l'Art allemand. le toit est orné de statues de compositeurs célèbres, dont celle de Félix Mendelssohn, d'origine juive. Une erreur insupportable pour Heydrich, qui ne manque pas de culture musicale et qui donne l'ordre de la faire disparaître sur le champ. Mais aucun nom ne figure sur les statues. Incapables d'identifier Mendelssohn, les cadres SS et leurs ouvriers tchèques font fonctionner leurs méninges : un musicien juif ? C'est forcément celui qui a le plus grand nez… Fausse bonne idée, dont les conséquences auraient pu être « terribles » : ils ont été sur le point de déboulonner la statue de Richard Wagner, un compositeur vénéré par les dignitaires du Reich, qui le tenaient pour un précurseur.

L'écrivain tchécoslovaque juif Jiri Weil avait échappé à la déportation et survécu à l'occupation nazie en entrant dans la clandestinité. Il voulait écrire une oeuvre mémorielle qui ne soit pas une chronique historique de plus. Il mit vingt ans à concevoir et élaborer Mendelssohn est sur le toit, une narration romanesque inspirée d'événements tragiques ou cocasses dont il avait été le témoin direct ou indirect.

Il montre des officiers nazis dont le comportement de bureaucrate courtois et zélé dissimule mal l'idéologie, le mépris pour les « sous-hommes » et le destin qu'ils leur réservent, déléguant l'ultra-violence à la Gestapo et à leurs subordonnés. Tous font mine d'ignorer les rumeurs de difficultés en provenance du front de l'Est, mais se pressent de se remplir les poches, s'octroyant même avec cynisme la collaboration de Juifs auxquels ils font miroiter un sort clément pour leurs familles. Mensonge, bien sûr, solution finale oblige. Et pas question de laisser en vie des témoins de leurs turpitudes ! Certains parlent en riant de « Juifs qui s'envolent par la cheminée ».

Parmi les Tchèques, juifs ou pas, on trouve, comme dans la plupart des pays occupés, des gens qui cherchent à survivre, en collaborant, en se rendant invisibles ou en redonnant un sens à leur vie par la lutte et l'entraide. Je m'interroge sur les administrateurs de la Communauté : comment ont-ils pu supporter leur terrible rôle en porte-à-faux ? Je n'en dirai pas plus sur les Juifs de Prague. Il y a plus de leçons à tirer de l'observation des bourreaux que de celle des victimes. Juste une pensée pour les imprécations lancées par les pendus de Terezin et pour les chansonnettes des petites filles tabassées à mort dans les dernières pages : déchirant.

Jiri Weil met en opposition les splendeurs intactes de Prague, ses statues, ses pierres et la désagrégation physique et morale de sa population. Mais lorsqu'à la fin des années cinquante, il voulut publier son Mendelssohn, il se heurta à la censure tchécoslovaque, au prétexte que l'action des communistes dans la Résistance n'était pas assez mise en valeur. La leçon ne suffisait pas.
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