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Critique de Zebra


« Video Games » (titre original, « Lucky Wander Boy ») est un roman de l'américain D.B. Weiss, « le scénariste de la série culte Game Of Thrones (Le trône de fer) ». Édité chez Plume (Penguin Putman Inc.) en 2003, paru dans la collection J'ai Lu en mars 2014, cet ouvrage de 374 pages nous raconte l'histoire tout à fait singulière d'Adam Pennyman. Comme indiqué en quatrième de couverture, Adam, « médiocre employé d'une société Internet, a une passion, les jeux vidéo. En les étudiant inlassablement, il cherche à comprendre le désastre qu'est son existence et à reprendre sa vie en main. le jeu « Lucky Wander Boy », et son légendaire troisième niveau, l'obsède. Adam se lance dans une course folle sur les traces de la créatrice » de ce jeu, « Araki Itachi. »

Adam est embauché comme rédacteur de séries Web chez PED (Portal Entertainment and Development) ; on attend de lui qu'il écrive le scénario du film « Lucky Wander Boy ». Au boulot, Adam croise plusieurs personnages fortement typés : il y a Anya Budna, une polonaise qui a quitté Varsovie pour Los Angeles, « un équilibre parfait entre vierge contemporaine et allégorie de la pècheresse » ; Jeffrey, collectionneur de programmes de jeux vidéo ; Ted, illustrateur ; Anthony, vidéonaute ; Samy (dit Sexy Samy), un costaud d'1m 90, pesant près de 110 kg ; Shay, programmeur ; Linda, graphiste douée, se baladant en pantalon et bottes de chantier ; Clio, graphiste un peu azimutée, débrouillarde en diable et « girl friend » d'Adam ; Tamar, productrice Web et supérieur hiérarchique direct d'Adam ; Tom Lyme, Vice-Président de PED, un vrai lèche-cul ; Kurt Krickstein, le P-DG de PED, dandy extravagant, exécrant « les blaireaux et les feignants », et féroce en affaires ; Alicia, l'assistante de Kurt ; et Curly, la chienne bâtarde de Kurt. La vie de bureau en open space, avec son pesant d'égoïsme et de chausse-trappes, ses avalanches de mails quotidiens, ses tâches plus prioritaires les unes que les autres, son management par la terreur, son absence d'intérêt et l'inexistence de réelle perspective d'ascension sociale, voilà qui n'est pas pour ravir Adam. Parallèlement à son job, qui ne l'occupe au mieux qu'une heure par jour, Adam s'évade en écrivant le Cahier des Jeux (vidéo) Obsolètes.

Quand il découvre la singularité de « Lucky Wander Boy », Adam réalise qu'il va pouvoir remplir le vide de sa vie ; avec ce jeu, Adam va pouvoir enfin ne pas être ce qu'il est, et vivre tant qu'il peut vivre (Adam vient de perdre sa grand-mère, dont il a vu l'état se détériorer alors que son corps était progressivement envahi par les métastases). Adam déborde d 'un désir dévorant de plus de vie. Par le jeu, Adam va pouvoir s'approcher de la richesse absolue (gagner des points ou des vies gratuites), conquérir et devenir un maître (d'ennemis, de terrains), naviguer dans un monde parfois glauque et labyrinthique (une référence à la vie intra-utérine ?) et vaincre après avoir exploré toutes les issues possibles. Jouer aux jeux vidéo, c'est pour Adam l'occasion de dilater le temps, de progresser avec l'assurance inflexible et inébranlable du Samouraï, se transformer en un personnage rêvé ou maudit, se constituer un fragment d'histoire spécifique ; c'est également l'occasion de monter dans un ascenseur social puisque, talentueux et chanceux, il passe de niveau en niveau, oubliant peu à peu l'incompréhension initiale du jeu. Devenant un initié, cherchant et découvrant au fil du jeu -derrière une absurdité parfois trompeuse- la promesse d'une révélation, Adam s'escrime et gagne, au milieu de ses compagnons de jeu, dans une salle d'arcade. Adam fait la preuve de sa capacité à craquer un code, à surmonter des obstacles, des conspirations, des astuces technologiques dernier cri. D'initié, Adam gagne même le statut de créateur, comblant les vides du jeu avec des combinaisons bien à lui, se créant les raisons de continuer à jouer. le jeu devient alors sa vraie vie, un endroit dans lequel il n'a pas à effectuer de choix dramatiques, des choix qui effaceraient trop d'avenirs radieux, un endroit qui lui permet de tuer son père (en fait, l'ennemi) en toute impunité, un endroit qu'il ne peut quitter. « Je fais quelque chose ! C'est bien réel » (page 313). « Être (enfin) un héros, juste une journée » (page 315). « Pour la première fois, je pouvais affirmer sans rougir que j'avais un but » (page 321).

Mais par-delà le jeu, il y a la vie de tous les jours. Obsédé par LWB et par son mythique troisième niveau, Adam laisse sa relation avec Anya puis avec Clio se dégrader. La nature ayant horreur du vide, Adam part au Japon pour s'entretenir avec Araki Itachi, la créatrice de LWB, et percer ainsi le mystère qui entoure ce troisième niveau. Adam idéalise Araki, désire même une relation sexuelle avec elle (page 245), car elle seule peut le conduire de l'autre côté du désert du réel (page 355), le mener à une réelle rédemption de la réalité physique. Stupéfaction ! Araki lui démontre que l'argent n'est rien, que le corps constitue un obstacle à l'immortalité, que s'accomplir, c'est se donner et fusionner avec autrui, quel que soit le prix à payer, rejeter ses ambitions personnelles, accepter l'humiliation ou le châtiment.

Au final, LWB ne ferait jamais un bon film ; ce serait un échec total. Alors, Adam va continuer quelques temps à errer dans sa vie, mais « tous ceux qui errent ne sont pas perdus » (JRR Tolkien). Roman réservé à la génération jeux vidéo ? Non ! Un ouvrage intéressant et superbement documenté, un scénario palpitant, un style résolument moderne, présentant plusieurs niveaux de lecture et conduisant le lecteur à réfléchir (sans avoir à avaler des manuels de psycho-philo-sociologie) au sens de la vie. Un détour inattendu, mais utile, par l'histoire des relations tumultueuses entre la Chine et le Japon : je mets quatre étoiles.
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