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Critique de Alzie



Dorian a trente-huit ans lorsque Harry lui confie vers la fin du roman : "Je suis heureux que vous n'ayez jamais rien fait : ni modelé une statue, ni peint une toile, ni produit autre chose que vous même ! ... Votre art ce fut votre vie". La vie de Dorian, dont son ami Basil a peint le portrait quand il avait vingt ans, serait-elle devenue une oeuvre d'art en soi ? Histoire étrange que celle-ci, celle d'une double fascination : du peintre pour son modèle (Basil pour Dorian) et du modèle pour son mentor (Dorian pour lord Henry), celle aussi et surtout d'une fascination pour le double : Dorian pour son propre portrait. Réussite du mentor qui érige la jouissance en raffinement esthétique suprême et qui voit son élève, Dorian, devenir un dandy décadent appliquant ses préceptes et sans doute le surpasser. Désarroi du peintre, Basil, dépossédé de son modèle, dont l'oeuvre lui échappe totalement. 

Dorian Gray est le type même du héros fin de siècle conduit par la toute puissance de ses penchants, qu'un tableau (celui offert par Basil) et qu'un livre offert par lord Henry et lu après la mort d'une jeune femme qu'il a brièvement et mal aimée, Sybil, semblent avoir guidé vers son destin crépusculaire. ("Le livre empoisonné" qui hante Dorian et a inspiré Wilde serait peut-être : "A Rebours" de Huysmans paru en 1884, compte tenu de la référence explicite aux Symbolistes français). Détournement de la morale assuré donc par la peinture d'un côté, par la littérature de l'autre ! le mystère de la personnalité de Dorian mû par les forces obscures que son voeu a libérées et qui s'épanchent dans le tableau constitue la trouvaille de génie d'oscar Wilde et apporte au roman, en plus de son atmosphère fantastique, une tonalité totalement surréaliste avant l'heure.

En réalisant le portrait de Dorian, Basil son ami, ne lui révèle pas tant la beauté de sa jeunesse que son évanescence. Pour se défaire du choc ressenti de ce malheur annoncé, à la vue du tableau, Dorian, usant d'un pouvoir insoupçonné, fait le voeu instantané de conserver intact le masque de sa jeunesse tandis que l'empreinte de l'âge se reportera sur son portrait. Ce pacte intime et décisif avec lui-même va se réaliser (qui n'est pas sans évoquer Faust) mais le sépare définitivement de sa conscience et transforme sa vie en un cauchemar d'orgueil, de vanité et de cynisme absolus. Ainsi, se condamne-t-il à interroger sans cesse le portrait que Basil lui a donné pour connaître véritablement l'état de son âme, dans une angoissante confrontation. Une histoire d'emprise et de dédoublement où le réel et l'irréel se superposent complètement générant un malaise diffus. (Dr Jekyll & Mr Hyde de Stevenson, 1886).

La réflexion esthétique et morale qui sous-tend la trame du roman entraîne le lecteur dans un entrelac serré d'interrogations infinies sur l'art et la création, la jeunesse et la beauté, le bien et le mal, la recherche du plaisir et la pureté, la religion et la mort, qui souvent s'illustrent par une abondance d'aphorismes et de formules implacables (Un peu trop parfois à mon goût). Terriblement désenchantée, cruelle (pour les femmes !) et sombre, le plus souvent portée par la voix de lord Henry, cette réflexion est sans doute aussi une manière virulente de répondre à l'hypocrisie, au mépris et à la pudibonderie de la société victorienne contemporaine dans laquelle Oscar Wilde évoluait. le livre fit scandale à sa parution en 1890.

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